Un cycliste ne fait pas le printemps
Par Le zoïle à pédales le dimanche, mai 3 2015, 10:52 - Études de cas - Lien permanent
La mi-avril est passée, il fait beau et chaud depuis plusieurs jours et il n'y a eu aucune chute de neige depuis plusieurs semaines. En dehors de quelques bancs de neige épars et sales résistant au printemps de toute la force de leur inertie thermique, le paysage est de cette couleur ocre et paille quasi uniforme caractéristique de l'arrivée de la belle saison. Les automobilistes retirent leurs pneus d'hiver, les terrasses s'ouvrent, les premières pousses apparaissent. Vous vous dites : quel beau temps pour commencer la saison de vélo! Fol espoir qu'est le vôtre...
Quelques considérations météorologiques
Les photos et discussions de cet article sont basées sur la situation au printemps 2015. Cela ne signifie pas que ce soit la première année que ces problèmes ressortent (loin de là), mais tout simplement que je n'ai pas amassé de tels éléments de preuve lors des années précédentes. Les photos présentées s’échelonnent entre le 13 et le 19 avril 2015, en plus d'une séquence de photos supplémentaires prises le 2 mai 2015. À titre de référence, voici les relevés météorologiques pour ce mois d'avril (disponibles publiquement sur le site d'Environnement Canada) :
1. La température maximale relevée par jour (station Université Laval) :
2. La température moyenne relevée (station Université Laval) :
3. La quantité de précipitations totales par jour (station Université Laval) :
4. La quantité de précipitations nivales par jour (station Aéroport de Québec) :
5. La neige au sol mesurée (station Aéroport de Québec) :
Résumons ce que ces graphiques nous apprennent :
- Moins de 10 cm de neige ont été enregistrés pour l'entièreté du mois d'avril.
- L'estimation de neige au sol estimée tombe à zéro à partir du 10 avril (après avoir été à 1 cm la journée précédente)
- Il n'y a que deux jours où la température maximale n'a pas dépassé le point de congélation, la moyenne étant d'environ 8 degrés. Plusieurs jours dépassent allègrement les 10 degrés.
- À partir du 9 avril, les températures moyennes (incluant le froid nocturne, donc) sont également au-dessus du point de congélation. La moyenne sur les vingt premiers jours d'avril est de 2.5 degrés.
- Il n'y a pas à proprement parler de mesure d'ensoleillement, mais le graphique des précipitations totales (neige et pluie combinées) montre que le Soleil a été présent au moins une dizaine de jours entre le début et la mi-avril.
Voilà pour les faits. Entrons maintenant dans le vif du sujet : quel est l'état des pistes cyclables après une telle période?
Aimez-vous patiner?
Tout le monde aime les surprises. Enfin, ça dépend quel genre de surprises... Imaginons que vous partez tranquillement à vélo : il fait beau, chaud, et le paysage ressemble à la photo suivante :
Toutes les conditions semblent donc réunies pour une belle ballade. Vous arrivez alors à un tunnel :
Oups... Ce tas de glace et de déchets n'est pas seulement laid, il est aussi particulièrement dangereux pour un cycliste qui, au vu des conditions météo, ne s'attend légitimement pas à tomber sur de la glace. Cette photo a été prise le 19 avril, dans le tunnel passant sous l'avenue d'Estimauville; en plus de prendre les cyclistes par surprise, cette plaque de glace n'est vue qu'au dernier moment à cause de la luminosité à l'intérieur du tunnel beaucoup plus faible que celle extérieure.
Bon, mais après tout, ce tas de glace est relativement petit, et j'entends déjà certains dire que je déchire ma chemise pour pas grand-chose : ce n'est pas si mal, ce n'est pas comme si une plaque de glace de 6 pouces (15 cm) couvrait l'entièreté du tunnel! Hum... et si on allait voir les tunnels suivants, par acquit de conscience?
Qu'est-ce qu'on disait à propos d'une épaisse plaque de glace tapissant l'entièreté du tunnel? C'est précisément le cas pour le viaduc de la Rue du Manège...
et c'est encore pire dans le tunnel subséquent, celui de la bretelle d'accès près du Boul. des Chutes. Observez l'épaisseur de la glace!
Le Corridor du Littoral n'a pas l'exclusivité de ce genre de "surprises". On peut également en retrouver sur les abords de la rivière St-Charles, côté sud :
De même que dans le tunnel vers le Vieux-Port (tunnel particulièrement achalandé, puisqu'il est pour ainsi dire le seul accès cycliste à peu près sécuritaire au Vieux Port...) :
Ainsi que, cerise sur le gâteau, dans la descente de la côte Ross reliant le Chemin St-Louis à la Promenade Champlain, à Ste-Foy :
Oui, en plein milieu d'une pente de 500 mètres, caché par la courbe et la voie ferrée passant par-dessus, on retrouve une belle plaque de glace! Cette situation n'est pas seulement inacceptable, elle est carrément dangereuse. Il n'y a même pas de panneau avertissant les cyclistes et les patineurs de l'imminence d'un danger -- pas que la présence d'un tel panneau rendrait acceptable une telle quantité de glace si tard au printemps dans les principales artères cyclables, notons le bien, mais au moins cela réduirait les risques d'accident. Parce que pour l'instant, bien franchement, est-ce que quelqu'un peut raisonnablement supposer qu'en continuant dans cette direction :
Il rencontrera une patinoire? Bien sûr que non. Peut-il penser que la descente de cette côte de 11% (la fin de la côte Ross) :
le mènera inéluctablement à une plaque de glace? Évidemment pas.
En avril, ne te découvre pas d'un fil; en mai, conserve tes pneus cloutés
Je suis repassé par ces différents endroits deux semaines plus tard, le 2 mai 2015. C'était une belle journée ensoleillée de fin de semaine, avec beaucoup de personnes sur les pistes -- dont plusieurs familles. Si on retient comme prémices les faits suivants :
- À ce moment, voilà un mois que toutes les journées ont connu une température maximale au-dessus du point de congélation, dont deux semaines au-dessus de 10 degrés. La température en ce 2 mai est bien au-delà du 20 degrés.
- La neige a complètement disparu du paysage (nous sommes en mai après tout).
- Nous sommes sur le Corridor du Littoral, une des deux pistes cyclables les plus achalandées de la région.
La question à 100$ maintenant : est-ce que ça change quelque chose? Non. Rien. Nada. On s'en fiche. Une plaque de glace en plein tunnel (sans visibilité donc) ne semble émouvoir personne. Après tout, on parle seulement de cyclistes, ce n'est pas comme si on devait réellement se préoccuper d'eux et de leur sécurité. Ah oui, il y a aussi des patineurs à roulette, mais bon, eux-mêmes admettent faire du "patin", ils ne viendront tout de même pas se plaindre d'un peu de glace!
Blague à part, les mots me manquent pour décrire ça. Messieurs et mesdames des instances administratives concernées, est-ce seulement possible pour vous de plus vous en contreficher? Parce qu’à ce stade-ci, on bat des records.
Ah oui, j'allais oublier! La glace est certes toujours là, mais maintenant, un système de signalisation élaboré et bien conçu a été mis en place afin de prévenir les cyclistes du danger et d'éviter tout incident regrettable. Ou pas. En fait, voici l'entièreté du dit "système de signalisation" :
Un cône. Dans l'autre voie. Oui oui, là, à peine visible dans l'ombre du tunnel. C'est diablement pratique. Messieurs les ingénieurs, révisez vos définitions : maintenant, "cône dans la voie inverse à l'entrée d'un tunnel" signifie "plaque de glace impossible à prévoir parce qu'on est le 2 mai et qu'il fait 20 degrés, mais en même temps on s'en fiche complètement de vos problèmes donc débrouillez-vous, nous on a mis un cône donc on a fait notre part". En fait, la présence de ce cône n'a tellement aucun rapport que je me demande si c'est vraiment pour signaler la glace que ces cônes ont été installés. C'était aussi peut-être pour faire joli; ça ajoute une petite touche d'orange, qui, si on la combine au rouge provenant du sang des diverses personnes se rétamant la mâchoire, doit être du plus bel effet sur le béton triste de ce tunnel.
De la gestion du risque
Réfutons par ailleurs un possible contre-argument : non, il ne suffirait pas d'être prudent. Être prudent, c'est anticiper les conséquences d'une action, les problèmes potentiels pouvant survenir et les éventualités possibles d'une situation donnée. Cela passe donc par l'évaluation de ladite situation. Par exemple, pour un automobiliste, ne pas anticiper la présence potentielle de glace noire sur une bretelle de sortie pendant une nuit glaciale de janvier est un manque de prudence, puisqu'une analyse raisonnable de la situation pouvait permettre de le déduire. Ne pas anticiper cette même présence de glace par un 20 degrés ensoleillé du début mai, après un mois de températures bien au-delà du point de congélation, n'est pas un manque de prudence. C'est exactement la même chose ici : le problème n'est pas en soi qu'il y ait de la glace (à la mi-janvier, ce serait tout à fait acceptable), mais qu'il y en ait 6 pouces d'épaisseur le 19 avril, après 10 jours de temps chaud et une quantité de neige au sol nulle depuis une semaine, sans avertissement d'aucune sorte pour les cyclistes.
Quand la piste cyclable devient un dépotoir à neige
Ce n'est pas tout! Au-delà de ces situations dangereuses, on retrouve également des cas carrément risibles. S'il était porté à l'attention des gens qu'une entreprise utilise une rue publique, si petite soit-elle, pour y mettre (sans permis adéquat) la neige qu'elle retire d'un stationnement ou d'un terrain la bordant, je ne pense pas que l'on trouverait beaucoup de personnes pour défendre le comportement de cet entrepreneur : après tout, c'est une voie publique, de quel droit quelqu'un pourrait-il l'obstruer ainsi?
Maintenant, prenez la même situation, mais transposez-la aux pistes cyclables. Résultat : tout le monde s'en fiche. Tout simplement. Un banc de neige en plein milieu d'une piste cyclable, fondant des semaines après le reste de la neige? Pas de problème, visiblement. Voici quelques exemples (mi-avril 2015). Premièrement, la piste longeant la rivière St-Charles (côté sud) :
On peut remarquer que le stationnement sis à côté de la piste est, quant à lui, impeccable :
Sur le Corridor des Cheminots (section entre la 41e rue et Mont-Thabor) :
Sur la piste reliant le Colisée au parc Cartier-Brébeuf :
Au Vieux-Port, en plein milieu des quais :
Sur le Corridor des Beauportois, près du Boulevard Raymond :
Comme pour la section précédente, ceci n'est qu'un aperçu; je suis loin (très loin même) de prétendre à l'exhaustivité...
Considérations sur l'évaporation du gravier et du sable
La présence persistante de glace au-delà des périodes d'enneigement normales, bien que dangereuse et problématique, a au moins un avantage : elle fond. Malheureusement, on ne peut pas en dire autant du gravier et du sable qui l'accompagnent. Bien entendu, retrouver un peu de gravier n'est pas problématique, et tout utilisateur de la route, cycliste ou non, doit s'y attendre. Le problème, c'est que je ne parle pas ici de quelques graviers épars. Non, on parle plutôt de véritables trappes de sable, qu'un golfeur ne désavouerait pas (ici sur le pont de la rivière Montmorency, au bout du Corridor du Littoral, puis sur la promenade Champlain, près de la côte de Sillery) :
On parle aussi de pistes tellement couvertes de gravier que l'on n'en voit même plus les lignes, par exemple (dans l'ordre) sur le Corridor de la St-Charles et le Corridor des Cheminots :
Dans ce dernier cas, ce gravier est situé en bas d'une descente, tout juste avant un croisement important (41e rue). À en juger par les traces dans le gravier, s'arrêter n'a pas été facile pour tout le monde... Parallèlement à tout ça, on parle aussi de pistes couvertes de roches (ce n'est clairement plus du gravier à ce stade) :Que l'on parle de la piste de la rivière St-Charles, ou du Corridor des Cheminots, couvrir la piste de roches ne semble donc pas un grave problème...
On peut même trouver des endroits "combo", réunissant ces trois situations en une seule (ici, sur le Corridor des Beauportois, entre le Boulevard Raymond et Louis-XIV) :
Est-il besoin de préciser qu'aucune de ces situations dangereuses n'est adéquatement signalée?
Conclusion
Présence de glace, bancs de neige persistant tard au printemps, piste généreusement parsemée de sable, de gravier, de roches et d'autres gravats au point de fusion hélas trop élevé (je pense en particulier aux déjections canines, un jour il faudra m'expliquer le processus mental des gens qui laissent leur chien faire ses besoins sur une piste cyclable l'hiver) : rien n'est épargné aux cyclistes et aux autres usagers de ces pistes -- par exemple les amateurs de patins à roues alignées. Comme pour la plupart de mes articles, certains pourront le lire en diagonale puis me rétorquer sèchement qu'on ne peut pas engager 2000 préposés dédiés uniquement à l'entretien des pistes 365 jours par an, qu'on ne va tout de même pas s'abaisser à déneiger les pistes cyclables toutes les demi-heures ou que le bon contribuable honnête, père de famille et payeur de taxes, ne veut pas voir son compte de taxes déjà bien trop élevé décupler au bénéfice de quelques pédales privilégiés qui pensent sauver les bébés dauphins et la couche d'ozone en utilisant un moyen de transport suranné au lieu de faire comme toute personne raisonnable et digne de respect en s'achetant un char. Ça tombe bien, ce n'est pas du tout de ça que je parle.
Que l'on ne déneige pas les pistes cyclables l'hiver est une chose : le nombre d'utilisateurs potentiels est (pour le moment) faible et les coûts élevés. Cela n'implique pas que nous soyons pour autant dans un dilemme où nous aurions à choisir entre un service de déneigement de luxe et aucun service. Il suffirait par exemple d'un passage de déneigement vers la fin mars, lorsque le gros des précipitations nivales est passé, pour réduire considérablement le problème d'accumulation de neige et de glace; un unique passage d'un véhicule nettoyeur aux endroits problématiques mitigerait considérablement le problème des débris sur les pistes. À noter que tout cela est éventuellement fait, mais les délais de nettoyage s'étirent bien souvent au-delà du début mai, soit bien trop tard. Pour un premier passage hâtif, pas besoin d'un nettoyage sous vide, simplement d'un passage sécurisant les endroits les plus problématiques, le nettoyage "en profondeur" pouvant être réalisé plus tard en saison. En termes financiers, on parle ici d'une minime portion des coûts de déneigement engagés pour permettre la circulation automobile à l'année, afin de permettre aux cyclistes de profiter des pistes et corridors cyclables à un moment de l'année où tout le reste s'y prête. Ces coûts pourraient de plus être réduits si l'on imposait une règlementation aux entreprises utilisant les pistes comme des dépotoirs à neige -- comme on le fait déjà pour les voies automobiles, soit dit en passant.
Dans tous les cas, cette situation reflète tristement bien la mentalité d'une certaine frange de la population, pour qui le vélo reste un moyen de transport que seuls les clowns (probablement gauchistes et enverdeurs par ailleurs) peuvent raisonnablement penser pratiquer de manière sportive ou utilitaire. Pourquoi se soucier des conditions des pistes cyclables à la fin avril? Si les gens ne sont pas contents, ils n'ont qu'à attendre à la mi-juillet! Le problème, c'est que cette position n'est pas plus tenable que si j'affirmais que les automobilistes s'insurgeant contre les nids-de-poule devraient "simplement" cesser d'utiliser leur automobile entre mars et juin. On peut être en désaccord sur les moyens à prendre pour pallier les différents problèmes, mais ignorer ces problèmes ou les balayer du revers de la main montre sans équivoque que les beaux discours parlant de développement du cyclisme comme mode de transport actif et comme alternative potentielle à l'automobile ne sont rien d'autre... que des discours.
En bonus
Pour terminer ce billet, j'aimerais décerner un prix d'originalité aux concepteurs du nouveau pont de Marie-de-l'Incarnation sur la St-Charles. Ce pont, entièrement refait en 2009-2010, inclut, comme la plupart des ponts de la St-Charles, une installation permettant aux cyclistes de passer par dessous. En quoi cela se mérite-t-il un prix d'originalité dans ce cas? Tout simplement parce qu'il s'agit de la toute première piste multifonctionnelle vélo-kayak au monde. Pour une raison obscure, on semble avoir prévu un dégagement en hauteur suffisant pour laisser passer une girafe (ou alors peut-être prévoyait-on la venue de ce cycliste à Québec?). Résultat : dès qu'il pleut, particulièrement au printemps, on se retrouve avec ça :
Oui, il y a vraiment beaucoup d'eau... et c'est la même chose sur les deux rives.
Ces débordements ne surviennent pas qu'au printemps. Un orage un peu violent ou une journée de pluie forte suffit également pour inonder le passage en plein été, comme en témoigne cette photo prise le 11 août 2015 :
Je ne parle même pas ici du spectaculaire dépôt de sédiments laissé par la rivière lorsqu'elle se retire, qui, statistiquement, requiert plusieurs jours de plus pour être retiré...
L'automne n'est pas en reste : une averse automnale un peu plus importante que les autres et hop! (ici le 23 octobre 2016)
Bien évidemment, aucune signalisation n'est présente pour avertir les cyclistes, ce qui serait la moindre des choses.
Il est par ailleurs important de préciser que ce problème n'affecte que ce passage et se produit systématiquement tous les printemps depuis l'ouverture du pont (nul besoin d'un déluge d'envergure biblique). Certes, il est possible d'éviter ce passage en traversant Marie-de-l'Incarnation -- moyennant un détour via un feu de circulation interminable --, mais là n'est pas le sujet. Dans cette situation, la vraie question est surtout : comment peut-on, lorsque l'on conçoit un pont, ne pas tenir compte du niveau de l'eau? Manifestement, c'est possible et personne ne semble s'en émouvoir particulièrement...