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La fragmentation du réseau cyclable en images

Sur son site Internet, la ville de Québec promet monts et merveilles aux cyclistes (l'emphase est de moi) :

À Québec, les nombreuses voies cyclables conviennent autant aux adeptes du cyclisme récréatif qu'aux personnes qui recourent au vélo comme moyen de transport. Pour circuler en toute sécurité, il est important que vous les empruntiez lors de vos déplacements à vélo

Génial, la ville se préoccupe de ma sécurité! Mais, au fait, qu'est-ce que ça implique d'emprunter uniquement les voies cyclables?

Si vous avez déjà eu une discussion concernant la place du vélo sur la route, vous en connaissez probablement les aboutissants, quasi automatiques :

  • Les vélos n'ont pas d'affaire sur la route, mais ils doivent se conformer au Code de la route quand même, évidemment; autrement dit, j'aimerais que le Code de la route s'applique lorsque ça m'avantage et que c'est au cycliste de me laisser la priorité, mais dans le cas contraire, il est impensable que je fasse de même.
  • Les cyclistes ont déjà les pistes cyclables, qu'ils y restent. Est-ce que je vais rouler sur les pistes cyclables moi?

Dans cet article, je vais me concentrer sur la réfutation du second "argument". La première réfutation -- et probablement la plus simple -- est d'ordre géométrique : faire rouler un cycliste de 4 pieds de large sur une route en faisant 25 semble raisonnable, alors que faire passer un camion de 10 pieds de large sur une piste cyclable au mieux de la même largeur paraît tout de suite moins logique... Outre cet raisonnement d'intellectuel déconnecté du vrai monde (forcément intellectuel, puisqu'il y a des mathématiques, voyez-vous), on peut également relever que, de ce point de vue là, un cycliste pourrait, par symétrie, soutenir que "les automobilistes ont déjà les autoroutes pour eux, qu'ils y restent. Est-ce que je vais rouler sur les autoroutes, moi?". Mais passons sur ces argumentaires de salon et voyons plutôt ce que serait, en pratique, le quotidien d'un cycliste ne circulant que sur les pistes cyclables.

Du point de vue des autos

Plaçons-nous tout d'abord dans la peau d'un automobiliste. Lorsque cet automobiliste veut aller quelque part, voici les trajets potentiels qu'il peut emprunter :

carte_osm_quebec.jpgCette carte provient d'OpenStreetMap. Le but n'est toutefois pas de parler du réseau routier de Québec en soi, mais simplement de montrer la diversité des parcours disponibles aux automobilistes. Sur cette carte (vous pouvez l'agrandir pour mieux la voir), chaque petit trait représente un chemin carrossable potentiellement utilisable par notre automobiliste.

Du point de vue des vélos

Les prolégomènes étant posés, voyons maintenant les trajets potentiels que peut voir un cycliste, s'il tient à rester uniquement sur les pistes cyclables. Je rappelle aux pauvres contribuables s'échinant à payer des pistes cyclables à ces salauds de cyclistes que, selon la ville de Québec, ceci est une piste cyclable (près du parc Antoine-Masson, entre l'avenue d'Alembert et la rue Michelet) :

IMG_20150524_154807.jpgQuand une borne-fontaine a l'air large par rapport à la piste cyclable, je ne crois pas que l'on puisse qualifier cela d'équipement de luxe... La catégorie "piste cyclable" inclut également des installations qui sont tout sauf des pistes cyclables. Trève de disgressions, observons donc les endroits accessibles à un cycliste empruntant uniquement les pistes cyclables :

only_piste_cyclables_notext_redim.pngL'échelle de cette carte est grosso modo la même que celle de la carte présentée plus haut pour le réseau routier. Hum... On va s'entendre : à part si votre point de départ et votre destination se situent tous les deux sur le bord du fleuve ou le long d'une ancienne voie ferrée reconvertie en piste cyclable (le Corridor des Cheminots), trouver un chemin cyclable hors route est tout simplement impossible. Pas difficile, pas "ça demanderait beaucoup de détours, mais ce serait possible" : impossible.

Et en ajoutant les bandes cyclables?

Bon, c'est vrai que le résultat est quelque peu décevant pour notre interlocuteur du départ qui voulait que les cyclistes n'utilisent que les pistes cyclables. Un peu plus et celui-ci donnerait raison aux cyclistes... Admettons qu'il fasse des concessions : les cyclistes sont toujours des parasites urbains (ça ça ne changera jamais, faut pas exagérer), mais cette fois il est prêt à les "tolérer" gracieusement s'ils restent sur les bandes cyclables, ces accotements de largeur aussi variable qu'imprévisible techniquement dédiés à la circulation cycliste. Avant que l'on me parle de voies cyclables de luxe, je rappelle donc que ceci est une bande cyclable (selon la définition de la ville en tout cas) :

IMG_20140810_085623.jpgBref, on prend toutes ces spacieuses bandes cyclables et on les ajoute à la carte précédente. Voici ce que l'on obtient alors :

only_piste_et_bandes_cyclables_notext_redim.pngC'est déjà un peu moins ridicule, mais ne nous énervons pas trop vite, puisque cette carte couvre de Shannon à Boischatel en passant par St-Romuald et Orsainville. Voici ce que donne la carte ci-dessous superposée sur la carte routière présenté en début de billet :

carte_osm_velo.jpgComme on peut le voir, il n'y a aucun moyen pour les cyclistes voulant aller du nord de la 138 (Wilfrid-Hamel) au centre-ville de le faire sur des pistes ou bandes cyclables. Vous voulez circuler d'est en ouest en Haute-Ville? Impossible. Aller d'un quartier résidentiel de Lévis à la traverse? Vous pouvez l'oublier. De Val-Bélair ou Loretteville à Ste-Foy ou Cap-Rouge? Impossible, à moins d'accepter de passer par le Vieux-Port (vous imaginez le détour...). Bref, je n'énumèrerai pas toutes les situations possibles, mais trouver un parcours pour lequel le réseau cyclable n'est pas adapté est à peu près aussi facile que de trouver une route avec des nids-de-poule au printemps : on n'a qu'à baisser les yeux et on trouve.

Un réseau fragmenté et parcellaire

Je n'ai malheureusement pas de statistiques exactes sur le nombre de kilomètres de route versus le nombre de kilomètres de pistes cyclables à Québec. Ce qui est certain, c'est que l'on parle d'une différence d'ordres de grandeur. Dans tous les cas, la question n'est pas de savoir qui en a le plus ou qui en profite le plus, mais bien : est-ce qu'un usager voulant aller d'un point A à un point B peut le faire de manière raisonnablement efficace? C'est certainement vrai en ce qui concerne le réseau routier; c'est beaucoup moins évident pour ce qui est du réseau cyclable.

En soi, cet état de fait ne devrait pas poser problème : les cyclistes peuvent rouler sur les voies dédiées aux automobiles -- à l'exception des autoroutes, évidemment. Établir son trajet devrait donc être, pour le cycliste, un jeu d'enfant. Le problème, c'est qu'à partir du moment où certains décident, pour des raisons qui les regardent, que ce cycliste n'a, malgré la loi, pas sa place sur la route, ça devient nettement plus difficile... En ce sens, établir un réseau utilitaire aussi fragmenté n'est d'aucune aide. Au contraire, il conforte certains détracteurs des cyclistes dans leur vision que "les cyclistes se plaignent le ventre plein", et que c'est sûrement un lobby cycliste anti-automobile franc-maçonnique qui presse la ville à ajouter de nouveaux axes cyclables. Au fond, j'aimerais bien donner raison à ces gens-là. J'aimerais bien pouvoir affirmer : il n'y a plus de raison pour un cycliste de vouloir sortir des pistes cyclables, tout est accessible via celles-ci! Le problème, c'est que quand on regarde l'effarante blancheur des cartes présentées plus haut, on voit bien qu'on est encore loin de ce nirvana...

À noter que ce billet m'a été inspiré par cet article du Washington Post. Je me suis demandé ce que la même expérimentation donnerait à Québec. Pour la réaliser, j'ai repris les cartes officielles telles que diffusées par la ville de Québec et j'y ai isolé chaque type de piste.

Commentaires

1. Le mercredi, août 5 2015, 22:11 par Jean

Le réseau cyclable de la ville de Québec, ou le reflet de la volonté politique de l'administration Labeaume.

Deux exemples:
Vélo boulevard Père Marquette. L'idée de base: Une ligne directe entre l'université et le centre-ville via le boulevard René-Lévesque. L'aboutissement: Un vélo labyrinthe, qui est le résultat de moyens de pressions de divers groupes opposés à l'idée de base. L'administration Labeaume préférant plier devant ces groupes de pressions, plutôt que de respecter la proposition originale.

Boulevard Hamel, secteur autoroute Laurentienne: Cette artère majeure a été entièrement refaite dans ce secteur. Un endroit où l'espace disponible est abondant. On a refait le trottoir, et les voies de circulation automobile. Aménagements cyclables... Un gros zéro ! C'est inadmissible compte tenu de l'importance de cette artère dans l'axe est - ouest, que l'espace nécessaire était disponible, et que nous ne sommes plus en 1970.

2. Le mercredi, août 5 2015, 22:46 par Le zoïle à pédales

@Jean

Tout à fait. Pour le vélo-boulevard, j'ai écrit un article dédié tellement la liste de mauvaises décisions est longue : http://www.unzoileavelo.ca/index.ph...

Pour le boulevard Hamel, c'est tout aussi vrai, mais, à mon avis, le problème est même plus général et tiens en quelques mots : on s'en fiche des cyclistes. Je suis raisonnablement convaincu que l'idée d'ajouter un aménagement cyclable (dont le coût aurait été dérisoire par rapport au coût de réfection et de réaménagement total) n'a même pas effleuré les concepteurs du projet, tout comme ça ne les a pas effleuré dans à peu près tous les gros chantiers routiers de la région. Si le projet ne requiert pas, dès le départ et explicitement, une place pour les cyclistes, alors rien n'est fait. Je ne sais pas si c'est une volonté politique, mais à tout le moins c'est de l'indifférence poussée à un niveau stratosphérique... et c'est bien triste.

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