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Les aménagements dangereux : des fins aussi inopinées qu'inopportunes

Il y a un principe de base qui régit les aménagements routiers : le principe de moindre surprise. Une route peut tourner, se rétrécir, faire face à un feu de circulation ou un arrêt obligatoire, voir sa vitesse maximale diminuer; ce n'est pas un problème en soi, tant que l'usager de cette route en est prévenu et ne se retrouve pas face à une situation qu'il n'attendait pas. Une bonne partie des panneaux routiers ne sont là que pour ça, en fin de compte. Techniquement, ces principes devraient aussi être appliqués aux infrastructures dédiées aux cyclistes. Malheureusement, il n'en est souvent rien : beaucoup des articles de ce site décrivent justement des situations où le cycliste se retrouve, de manière imprévisible, face à une situation dangereuse. Ce billet présente un des paroxysmes de cette imprévisibilité : les bandes cyclables qui se terminent au pire moment.

De l'utilité des bandes cyclables

Les bandes cyclables ne sont pas des pistes cyclables, c'est un fait. Contrairement aux secondes, les premières sont situées directement sur la chaussée, à côté des voies de circulation automobile. Bien qu'une analyse naïve puisse pousser à conclure que les bandes cyclables offrent forcément une sécurité inférieure aux cyclistes que les pistes hors route, ce n'est pas forcément le cas, comme nous l'avons déjà observé. Dans tous les cas, les bandes cyclables offrent un avantage indéniable par rapport à une route sans aménagement :  un espace où les cyclistes peuvent rouler sans devoir se préoccuper de chaque automobile qui le dépasse. Ces bandes (j'inclus aussi dans cette définition les pistes cyclables situées directement au bord de la route) forment ainsi une sorte de "contrat" entre le cycliste et la route : le cycliste sait qu'il peut y rouler sans se préoccuper des automobiles (sauf aux croisements, évidemment, où la priorité du cycliste devient soudainement très optionnelle dans l'esprit de bien des automobilistes).

C'est pour cette raison que les rétrécissements impromptus sont aussi problématiques pour les cyclistes : en soi, ce n'est pas grave, puisque les cyclistes peuvent très bien rouler sans aucune bande cyclable, tel que le Code de la sécurité routière le leur permet explicitement. Ce qui est grave, c'est que le cycliste qui roulait tranquillement dans sa voie se voit soudainement forcé d'empiéter sur la voie automobile. Autant pour le cycliste que pour un automobiliste potentiel, ce n'est pas le genre de surprises que l'on apprécie...

Imaginez maintenant que la bande cyclable ne fasse pas que se rétrécir, mais qu'elle disparaisse purement et simplement... Impensable, me dites-vous? Je n'en serais pas si sûr...

Boulevard Hochelaga

Prenons un premier exemple : la bande cyclable suivante le Boulevard Hochelaga, à Ste-Foy. On a déjà parlé de son accessibilité abyssalement médiocre à partir de l'université, mais nous ne nous sommes jamais penchés sur la suite. Rassurez-vous, ce sera bref. La piste continue sur environ un kilomètre, pour en arriver à ceci :

IMG_20140824_093355.jpgOui. En plein milieu d'un trajet, juste après une flèche indiquant clairement aux cyclistes qu'ils doivent continuer tout droit, la bande cyclable se termine et devient une voie de virage à droite pour les automobilistes tout juste avant une intersection importante (la Route de l'Église). C'est aussi simple que ça : les concepteurs de cette piste cyclable lancent simplement un colossal démerdez-vous, on n'en a rien à cirer aux cyclistes. Non seulement les cyclistes se retrouvent-ils sans avertissement dans le trafic, mais ils doivent en plus gérer les automobiles voulant utiliser leur voie pour virer à droite. La voie de droite étant par ailleurs un virage à droite obligatoire comme l'indique la signalisation dans la photo montrée plus haut, les cyclistes qui veulent continuer sur Hochelaga doivent faire des pieds et des mains pour se décaler vers la gauche avant l'intersection.

Comme d'habitude, on peut toujours me rétorquer qu'il est formellement possible pour un cycliste de voir la fin de la piste et de s'arrêter avant, en toute sécurité. Je veux bien, mais :

  1. Comme je l'ai souvent précisé, si "s'immobiliser et ne rien faire" est considéré comme la solution d'un problème de transport, on a un grave problème;
  2. Même s'il s'arrête, qu'est-ce qu'il fait ensuite? Son but était de suivre Hochelaga, pas de faire une promenade de santé autour des centres d'achats! La bande cyclable l'a amené jusque là et tout à coup elle disparaît. Est-il vraiment raisonnable de suggérer de revenir sur ses pas pour prendre un autre chemin? J'en doute...

Boulevard Chauveau

C'est un peu la même situation sur le Boul. Chauveau, à l'Ancienne-Lorette. Vous roulez tranquillement sur votre piste cyclable, quand tout à coup, vous arrivez à cet endroit :

IMG_20140823_100131.jpgEncore une fois, la piste cyclable se termine brutalement, avec une flèche vous enjoignant gentiment à continuer quand même -- et pour cause, la piste reprend quelques centaines de mètres plus loin. Le problème, c'est qu'entre ces deux bouts de piste, vous avez un échangeur autoroutier. Oui, la piste vous lâche au pire moment et vous laisse gérer le passage au-dessus d'Henri-IV, les entrées et sorties de l'autoroute, tout ça par vous même. Une petite piste tranquille pouvant être empruntée par des enfants se retrouve ainsi transformée en un parcours du combattant dans lequel j'hésiterais à amener un cycliste non expérimenté. Ici encore, je ne sais pas qui a conçu cette incongruité goudronnée, mais je vous dis bravo : vous avez réussi avec brio à montrer une nouvelle fois à quel point vous n'en avez rien à faire des cyclistes.

Encore une fois, on peut me répondre : grand bêta, tu n'as qu'à passer par un autre endroit! Le problème, c'est qu'il n'y a pas d'autre endroit. Regardez la carte de la zone concernée :

chauveau_coupure2.png

Il n'y a tout simplement aucune manière de joindre les deux sections du Boul. Chauveau (j'ai mis un cercle rouge pour accentuer la zone dangereuse sur la carte), si ce n'est de passer par ce viaduc! On ne peut même pas considérer l'option (que je trouve débile, soit dit en passant) de marcher à côté de son vélo et de prendre le trottoir : il n'y a pas de trottoir!

Chemin Saint-Louis

Je sais que j'en ai déjà parlé, mais je ne peux terminer ce billet sans parler du Chemin Saint-Louis. Oui, vous savez, ce chemin où la bande cyclable est d'une largeur aussi variable que les principes d'un politicien... Eh bien à un certain point, vous arrivez à cet endroit :

IMG_20140810_090235.jpgEncore une fois, c'est bref, net et précis : FIN. Débrouillez-vous. La photo montrée plus haut a été prise un dimanche matin, un moment où réintégrer le trafic ne pose pas de problème, ce dernier étant, vous l'aurez remarqué, inexistant. Bonne chance toutefois pour faire de même à l'heure de pointe... Je doute que vous appréciiez l'expérience.

Oh, bien sûr, la ville vous dira que vous n'avez qu'à regarder la carte du réseau cyclable de la ville de Québec pour constater qu'une solution ingénieuse a été apportée au problème (le cercle rouge identifie la zone en question) :

stlouis_coupure.pngComme on peut le constater, les concepteurs du réseau cyclable suggèrent simplement de passer par diverses rues résidentielles pour éviter la zone problématique. D'accord, sauf que dans leur incompétence incommensurable sagesse, ces dites personnes ont oublié quatre "légers" facteurs :

  1. Ce détour force les cyclistes allant en direction est à tourner deux fois à gauche. Tout cycliste sait comment il est plaisant et agréable de tourner à gauche dans un trafic lourd...
  2. Ce détour impose une montée inutile de 20 mètres (en hauteur) aux cyclistes. Inutile, parce que de toute façon il faut tout redescendre pour revenir sur St-Louis. Encore une fois, tout le monde sait que tout cycliste urbain adore grimper des côtes pour rien, ça fait partie de leur plaisir, ça et rouler sur les trottoirs pour donner des coups de pied aux enfants mignons.
  3. Ce détour transforme un trajet rectiligne de 800 mètres en un trajet digne de Dédale de 1,9 km, soit 2,4 fois plus long!
  4. Finalement, ce détour ajoute sept arrêts obligatoires à un trajet qui n'en aurait aucun si on restait sur Saint-Louis.

Vraiment? Vous n'avez pas pu identifier ne serait-ce qu'un seul de ces défauts, qui sont à mon sens tous éliminatoires pour un trajet cyclable utilitaire? Pire, vous n'avez pas réalisé qu'une fois tous ces défauts pris ensemble, vous faites sérieusement compétition aux Denis Drolet dans le domaine de l'absurde? Je sais que je dis ça souvent, mais s'il y a un endroit où c'est vrai, c'est bien ici : je suis éberlué devant tant de médiocrité. On aurait fait un concours pour trouver le pire trajet cyclable possible qu'on n'aurait pas pu trouver mieux et pourtant, c'est ce trajet de dégénéré qui a été choisi, tout ça parce que personne n'a été fichu de comprendre que la largeur ridicule de la bande cyclable du Chemin St-Louis n'appelait pas à son retrait, mais à sa réfection!

Incidemment, on notera que la carte n'est pas exacte, puisque la bande cyclable est bien présente sur tout le Chemin Saint-Louis, mais uniquement en direction ouest... Mais bon, rendu là, c'est un détail franchement mineur.

Avenue Larue (Beauport)

Comme beaucoup des arrondissements de Québec, Beauport a une partie basse (près du fleuve) et une partie haute (vers les Laurentides). Sachant cela, il ne semble pas complètement déraisonnable de vouloir avoir deux itinéraires cyclables, l'un passant dans le bas de la ville, l'autre dans le haut. Pour ce qui est de la partie basse, c'est déjà réglé : le Corridor du Littoral, une piste cyclable bien connue qui suit le fleuve, de la tête des ponts à la Chute Montmorency, traverse Beauport d'est en ouest. Pour le haut de Beauport... c'est moins clair.

Oh, il y a bien eu des efforts, par exemple avec le Corridor des Beauportois, mais, comme d'habitude, on semble s'être contenté de faire des bouts de pistes là où ça ne demandait pas trop d'efforts. Pour le reste, je vous laisse constater ce que ça donne. La photo suivante a été prise sur l'Avenue Larue (dénomination quelque peu oxymorique, je tiens à le faire remarquer). À partir de Boischatel et du haut des Chutes Montmorency, une piste cyclable (parfois sur route, parfois non) est présente, mais, au moment où vous commencez à ressentir le fol espoir de voir cette piste se prolonger au travers de Beauport, vous arrivez à ce carrefour :

IMG_20150725_114709.jpgSelon le modus operandi qui devrait maintenant vous être familier, la piste cyclable s'arrête, brutalement, avec un joli pictogramme vous enjoignant à continuer quand même. Après tout, ce n'est pas comme si vous arriviez dans une zone remplie de commerces et de carrefours dangereux... oh, wait...

Dans tous les cas, continuer dans cette voie est la seule façon de traverser Beauport. Encore une fois, la vue sur la carte est éloquente (la piste de l'Avenue Larue est le trait mauve en bas à droite du cercle rouge) :

beauport_coupure.pngNon, il n'y a pas d'autre piste, pas d'autre bande cyclable, même pas une chaussée désignée quelconque pour rejoindre le Corridor des Beauportois (à la balise 16 sur la carte). Vous vous débrouillez, c'est aussi simple que ça, et tant pis si ça implique de passer sur l'une des avenues les plus achalandées de Beauport sans aucun aménagement.

Conclusion

Que dire pour conclure un tel billet? Que ces bandes cyclables à l'aboutissement facile sont dangereuses? C'est certainement connu (personne ne peut réellement s'imaginer que de laisser les cyclistes se débrouiller sans aucun aménagement dans un échangeur autoroutier est sécuritaire). Que ces terminaisons abruptes et ces détours incongrus sont tout sauf efficaces? Je ne l'apprends à personne, j'en suis convaincu. Que cela nuit à l'avancement du vélo comme moyen de transport? Personne ne peut le nier.

Le problème, c'est que malgré tout cela, la ville s'en fiche. Pourtant, ce que demandent les cyclistes n'est pas incommensurable : des liens directs et efficaces entre les divers quartiers de la ville. Pas forcément besoin d'une piste hors route ou d'un aménagement artistique; rien que des axes de transport efficaces, qui peuvent être aménagés à même les structures routières existantes, en supposant que l'on soit prêt à balancer les besoins des automobilistes et des cyclistes au lieu de tenir uniquement compte des premiers.

Regardez à nouveau les cartes présentées plus haut : pour une route, de tels "trous" seraient tout simplement risibles en milieu urbain. Vous imaginez un boulevard faisant soudainement un détour de 2 km parce qu'il y a trop de camions dans les environs? Personne n'accepterait ça, et pour cause! Pourtant, pour les cyclistes, ça semble parfaitement acceptable aux yeux de certains, et là est le problème. Sur mon vélo, je ne me considère pas supérieur aux automobilistes, mais certainement pas inférieur non plus! Tant que cette notion d'égalité ne sera pas prise en compte dans le développement des réseaux cyclables, vous pouvez être certains que les cyclistes rouleront un peu n'importe où -- ils en ont le droit, d'ailleurs -- selon le chemin qui leur convient le mieux, que ces chemins fassent partie des plans directeurs et autres planifications d'urbanisme ou pas. Vous ne pensez pas qu'il serait temps pour les villes d'arrêter de forcer les cyclistes à nager à contre-courant et de véritablement se pencher sur leurs besoins? Ça ne coûterait pas plus cher, et ce serait certainement moins frustrant pour tout le monde...

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