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La guerre à l'automobile

Mes amis, l'heure est grave. En effet, une guerre sournoise et abjecte se déroule sous nos yeux. Je ne parle pas des conflits au Moyen-Orient ni des guerres civiles qui ensanglantent l'Afrique, de la tension autour de la Corée du Nord ou de l'Afghanistan. Après tout, tout ça n'est au final pas très important, ce n'est pas comme si ces conflits qui font des millions de morts empêchaient les gens de se rendre au travail (pour y gagner de l'argent) puis au centre d'achats (pour y dépenser leur argent). Non, je parle de quelque chose de bien pire, qui s'attaque aux fondements mêmes sur lesquels notre société est bâtie, au socle de ce qui nous distingue de tous ces barbares qui vivent dans des pays au nom imprononçable : l'automobile. Car oui, c'est la guerre contre les automobilistes. Mais heureusement pour la populace (enfin, pas tout le monde, seulement les contribuables et payeurs de taxes qui utilisent l'automobile, les autres on s'en fiche), un héros veille.

De la sombre conspiration à la guerre ouverte

Dans tout groupement humain, on retrouve des rebelles, des gens incapables de comprendre les règles de base de fonctionnement d'une société. Cela n'est pas un problème tant qu'ils restent marginaux, mais leur multiplication peut finir par poser de graves problèmes. On a longtemps cru que ces bobos enverdeurs se concentraient dans une zone dangereuse appelée Le plateau, véritable Triangle des Bermudes routier où tout automobiliste qui s'y engage risque de ne pas en ressortir. Au fil des ans, un équilibre s'est mis en place, ces gens entravant la circulation automobile dans leur quartier, mais laissant la paix au vrai monde dans le reste du Québec pour y construire des autoroutes un peu partout.

Toutefois, cette paix était trop belle pour durer. Doucement, insidieusement, ces terroristes de la pédale ont infiltré plusieurs régions du Québec, jusqu'à la ville de Québec elle-même, pourtant bastion du gros bon sens. Certains ont bien tenté de se mettre la tête dans l'autruche et d'ignorer le problème, mais aujourd'hui, un homme courageux est venu dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. Cet homme, c'est Jean-François Gosselin, chef du parti Québec21, et il n'a pas hésité à le dire : Québec est en guerre contre les automobilistes. Et les cyclistes (et le SRB) sont sur la ligne de front...

guerre_automobile_11.jpg Rare photo d'archive d'un soldat de choc de l'infanterie cycliste (source)

C'est la guerre donc, mais que se passe-t-il exactement? Eh bien, figurez-vous que la ville de Québec a osé retirer une voie de circulation automobile sur une distance de près de 300 mètres, et même pas pour en faire des stationnements, mais bien une piste cyclable! Une piste cyclable, vous rendez-vous compte? M. Gosselin résume bien l'absolu illogisme de la situation :

Pourquoi avoir retranché une voie à l'automobile pour agrandir la piste cyclable? Je ne la comprends juste pas. C'est la guerre à l'automobile avec l'administration Labeaume.

C'est vrai, ça ne peut pourtant pas avoir un lien avec le fait que c'est en plein coeur du Vieux Port et que, entre la falaise et le fleuve, il n'y a plus de place pour agrandir quoi que ce soit depuis 1680 environ. Ça n'a rien à voir non plus avec le fait que cette section a toujours été problématique pour les cyclistes, puisque la piste des quais ferme dès qu'il y a une quelconque activité à l'Agora et qu'on se retrouve depuis des années avec des signalisations dangereuses et confuses, voire contradictoires. On ne peut décemment pas non plus relativiser en soulignant qu'il s'agit de quelques centaines de mètres sur les milliers de kilomètres qui forment le réseau routier de Québec et que le blocage estival perpétuel de cette zone est dû à bien d'autres choses que ce petit goulot d'étranglement. Non, nous vous l'affirmons : messieurs qui conduisez votre véhicule dûment immatriculé avec votre argent provenant de votre budget déjà rendu exsangue par les méchants gouvernements (et aussi un peu la piscine creusée, le cinéma maison de l'année, les 3 voyages annuels dans le sud et vos trois automobiles familiales, mais ce n'est pas pareil), les cyclistes et les autobus sont vos ennemis.

guerre_automobile_9.jpg guerre_automobile_6.jpg Soldat d'élite du 3e bataillon cycloporté en tenue de camouflage (en haut) et généralissime des armées cyclistes menant ses troupes (en bas). Voici le faciès de l'ennemi, voilà le visage du mal! Sentez-vous toute la haine émanant de ces féroces cyclistes endoctrinés? (source)

Mais attention, on ne parle pas uniquement des cyclistes. Il y a aussi le transport en commun et les piétons. Figurez-vous que dans le plan du défunt SRB, on... on... les mots me manquent, je vais laisser M.Gosselin énoncer cette ignominie :

C'est la guerre de l'automobile, si vous regardez comme il faut les images du SRB, on ajoute des trottoirs, on ajoute des voies de circulation pour le SRB, on enlève des voies de circulation à l'automobile.

Vous... vous voulez dire que quelqu'un ose considérer une autre alternative que d'ajouter des voies automobiles ad vitam aeternam sans effet concret? Mais c'est proprement scandaleux! Comment peut-on mettre sur un pied d'égalité un moyen de transport globalement inefficace entraînant des coûts importants pour les contribuables et le transport en commun?

guerre_automobile_1.jpg Attaque de cyclistes sur un groupe d'automobilistes pris dans le trafic d'Henri-IV parce que le gouvernemaman n'est même pas fichu d'ajouter une voie alors que c'est la solution simple et évidente que dicte le gros bon sens. Au premier plan, un cycliste se réjouit du malheur des automobilistes. Document d'archives exclusif (source)

À bas les diktats de la géométrie!

Au fil de vos pérégrinations à la recherche de cette vérité qui vous convient, vous serez peut-être confronté à des arguments s'appuyant sur les travaux d'un groupuscule douteux nommé Euclide par ses disciples. Bon, pour être franc, on ne sait pas trop ce que c'est, mais vu ce qu'il permet d'affirmer, c'est probablement une secte d'enverdeurs néo-nazis carré rouge islamo-musuljuifs. Figurez-vous que selon ce dit Euclide et sa doctrine (connue sous le nom de géométrie), on peut démontrer que l'ajout d'une voie de circulation ou d'un troisième lien n'améliorera pas la circulation de manière soutenue.

L'argumentaire parfaitement biaisé et ridicule de ces gens va comme suit : en 1963 (année de construction du Pont Pierre-Laporte et Henri-IV[1]), il y avait 1,38 million de véhicules sur les routes[2]. Il y en a aujourd'hui plus de 6,3 millions et ce nombre augmente en moyenne de 2.1% à chaque année[3]. C'est donc dire qu'en 2023 (délai prévu pour compléter l'élargissement d'Henri-IV[4] et l'ajout d'un hypothétique 3e lien), il devrait y avoir environ 7.14 millions de véhicules. Pour obtenir la même fluidité que dans le bon vieux temps, il faudrait donc multiplier le nombre de voies par 7,14/1,38 = 5,2. Autrement dit, pour obtenir la même aire par véhicule que dans les années 60, Henri-IV, qui possède 2 voies, devrait compter 2*5,2 = 11 voies et le 3e lien, qui vise à désengorger le Pont Pierre-Laporte qui compte 3 voies, devrait en compter au minimum 3*5.2 = 15 voies dans chaque direction, ce qui fait quand même beaucoup. Et ça, ce ne serait que pour 2023, il faudrait encore songer à agrandir par après si l'accroissement du parc automobile se poursuit.

Ces gens termineront en vous faisant remarquer que tant que l'aire totale des véhicules voulant emprunter un axe routier donné est supérieure à l'aire dudit axe routier, il y aura forcément des bouchons et qu'au lieu d'essayer de désespérément et infructueusement augmenter l'aire de l'axe routier, on pourrait s'attaquer à réduire l'aire occupée par les personnes transportées. Ils vous montreront ensuite ce genre d'animations (source) : aire_auto_bus.gif

Voyez-vous comment cette réflexion est risible? Premièrement, qu'est-ce que c'est que tous ces chiffres, toutes ces opérations mathématiques (je compte 4 multiplications et une division, rien de moins!)? On voudrait confondre le vrai monde, ceux qui ont autre chose à faire de leur temps que d'avoir la tête dans les nuages et les mathématiques, qu'on ne s'y prendrait pas mieux! Deuxièmement, avez-vous remarqué cette propension à citer des sources crédibles pour appuyer l'argumentaire? Quelqu'un qui a une tête sur les épaules, une tête remplie de gros bon sens dont nos élites manquent cruellement, serait réellement confiant et ne sentirait pas le besoin d'appuyer constamment ses affirmations. Troisièment, observez la "preuve en image" qu'on tente de vous enfoncer dans le crâne. Un observateur attentif constatera que cela provient de Seattle. Le chat sort du sac! En quoi la situation d'une ville nord-américaine de 634 000 habitants comportant plusieurs ponts telle que Seattle pourrait se rapprocher de celle de Québec, ville nord-américaine de 532 000 habitants comportant elle aussi un cours d'eau important? Ridicule. Et ils imaginent nous faire gober ça?

Alors que personne ne vienne nous dire que c'est la géométrie qui nous empêche de nous rendre plus vite au Tim Hortons. Notre réponse, tonitruante, sera : si cette prétendue géométrie nous gêne, ignorons la! Nous ne laisserons pas cette intelligentsia communiste que sont les scientifiques (la preuve? ils partagent le résultat de leurs recherches!) nous dicter les décisions à prendre. Nous, du haut de notre hood de char, de nos dix secondes de réflexion sur le sujet et de notre myopie chronique à tous les enjeux de développement durable, savons voir au-delà de cette propagande mathématique. Nous ne sommes pas dupes!

Que pouvons-nous faire pour juguler la menace?

Premièrement, il est primordial de ne pas vous laisser emberlificoter par les beaux discours. N'allez surtout pas penser que vous pouvez changer vos habitudes sans difficulté réelle, ni croire que d'autres puissent déjà avoir adopté d'autres comportements de transport. N'écoutez pas les beaux parleurs et leurs prétendus "faits". Qu'en savent-ils, de l'accroissement du parc automobile québécois? Ils sont allés compter eux même les autos en 1963 ou quoi? Non, on peut faire dire n'importe quoi aux statistiques; rappelez-vous de l'exemple de la section précédente, où nous avons "démontré" que l'ajout du 3e lien ne règlerait rien!

Il est crucial de ne jamais ouvrir vos horizons. Considérez toute initiative favorisant le transport en commun, la marche ou le cyclisme comme une attaque personnelle envers vous, même si elle ne vous affecte pas directement. Ne cherchez pas à comprendre les motivations derrière ou à découvrir que ces enjeux ne sont pas forcément binaires, encore moins à avoir une vue d'ensemble du problème, concentrez-vous sur vous-mêmes. On veut vous confisquer votre char, réagissez bon sang! Écouter régulièrement les radios de Québec, dernière terre de liberté où on parle des vraies affaires, constitue une manière simple et efficace pour éviter d'être touché par ces discours mielleux et totalitaires, dignes des pires régimes dictatoriaux de l'histoire.

Deuxièmement, n'oubliez pas que ce sont de petits actes qui font toute la différence. C'est par la résistance de tout un chacun que nous vaincrons. De petites choses, comme bloquer les pistes cyclables en vous stationnant n'importe comment, occuper une voie réservée en bloquant un autobus et en invectivant les chauffeurs ou klaxonner sans raison les cyclistes, si possible en leur faisant peur, sont autant d'éléments qui usent la patience des usagers des modes de transport "alternatif" (alternativement débiles, devrions-nous dire, qui de sain d'esprit peut préférer quoi que ce soit à conduire son char?). Prenez exemple sur ces valeureux soldats :

Certains automobilistes ont même invectivé des cyclistes durant l'heure de pointe, jeudi matin, leur criant qu'ils n'avaient pas leur place sur la rue Dalhousie. ... Certains cyclistes se sont fait carrément barrer la route, jeudi matin, lors de notre passage.

guerre_velo.png Comme on peut le constater, les cyclistes n'ont effectivement pas leur place sur la rue Dalhousie et méritent de se faire traiter de tous les noms. Les vélos imprimés sur le sol littéralement à tous les 3 pieds ne sont que des leurres. Ne vous laissez pas faire! (source)

Dans le cas des cyclistes et des piétons, passer à vive allure à quelques centimètres d'eux (quand ce n'est pas carrément leur rouler sur les pieds en tournant un coin de rue) est également efficace : la peur est le commencement de la sagesse, dit-on. Si vous vous en sentez capable, devenez un martyr de la cause et frappez un cycliste, puis vantez-vous en sur les lignes ouvertes, vous contribuerez ainsi à l'éducation de tous les auditeurs. Prenez soin de préciser à quel point votre compagnie d'assurance est indigne parce qu'elle vous tient responsable de l'accident (oui, parce qu'entendons-nous, la vie du cycliste est clairement moins importante que les 800$ de réparation que ça vous aura coûté).

Troisièment, surveillez vos habitudes de conduite. De manière générale, lorsque vous conduisez, assurez-vous d'être systématiquement agressif. N'oubliez pas que votre temps est plus précieux que la vie des cyclistes et piétons; ils n'avaient qu'à s'acheter un pick-up s'ils voulaient être protégés! N'hésitez donc pas à dépasser dangereusement ou couper la voie d'un cycliste si cela peut vous faire grappiller 2 ou 3 secondes (secondes que vous perdrez arrêté au prochain feu rouge, mais bon, c'est pour le principe). Si vous pouvez faire crisser vos pneus et lui lancer votre mégot de cigarette, voire l'insulter sur des prétextes obscurs, c'est encore mieux.

Quatrièmement, faites passer le message. Dans les dîners de famille, les 5 à 7, votre lieu de vacances, prenez soin de rappeler constamment à quel point les automobilistes sont martyrisés. Rappelez à quel point ce sont vos taxes qui payent pour les pistes cyclables de ces clowns (les cyclistes ne payant pas de taxes, c'est bien connu, ils sont tous pauvres) et comment les cyclistes ont sans cesse des demandes déraisonnables, comme asphalter l'accotement d'une route passante. Et si l'un de vos interlocuteurs ose mentionner qu'il fait parfois du vélo, sans réellement émettre d'opinion, traitez-le directement de perruche en lycra avec une plume dans le c**, ça le remettra à sa place. Rappelez que vous payez une plaque, vous, et qu'il y a certainement une loi qui interdit aux parasites routiers (le vrai nom des cyclistes, en dehors des cercles politiquement corrects) d'utiliser la voie publique sans plaque. Si quelqu'un d'un tant soit peu avisé vous fait remarquer qu'une telle loi n'existe pas, et qu'au contraire le Code de la route prévoit et encadre explicitement la présence de cyclistes sur les routes, changez de sujet et faites remarquer sur un ton acerbe que les cyclistes devraient commencer par le respecter, le Code de la route. Passez sous silence le fait que pour venir à cet endroit, vous avez excédé la vitesse maximale permise sur toutes les routes que vous avez empruntées, que vous n'avez réellement fait aucun arrêt complet, que vous êtes passé sur 5 feux jaunes et que vous avez franchi à huit reprises une double ligne jaune (mais c'était pour dépasser des idiots indolents qui ne dépassaient la vitesse limite que de 5 km/h, il y a certainement une loi qui permet ça quelque part).

Cinquièmement, usez de votre droit de vote. Votez pour Québec21, un parti tourné vers l'avenir, qui propose des solutions inédites aux problèmes urbains contemporains (baisser les taxes et augmenter le nombre d'artères pour les automobiles). N'allez pas penser que l'administration d'une ville devrait se faire avec une vision allant au-delà de la construction de liens routiers épars et plus ou moins coordonnés. Vous êtes la ville et ce que vous voulez, ce sont des routes! Plus de voies, moins d'autobus, cyclistes et autres enverdeurs pour vous bloquer le chemin! Votez en conséquence.

Ce ne sera pas facile, mais nous pouvons le faire. Il y aura des pertes, des gens qui réaliseront que, finalement, c'est plutôt bien le vélo ou que ce serait bien, un parcours d'autobus qui les amène au bureau pour cinq fois moins cher en deux fois moins de temps grâce aux voies réservées. Malgré cela, nous devons nous serrer les coudes et résister. Automobilistes et payeurs de taxes, unissons-nous! Ensemble nous lutterons, ensemble nous combattrons, ensemble nous n'aurons de cesse que nous ayons triomphé et atteint notre but ultime, objectif à la fois grandiose et poignant : ne rien changer.

Notes

[1] source

[2] Source

[3] Source

[4] Source

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