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Une histoire de COVID19, de cyclistes et de blocs de glace

Le contexte dans lequel j'écris ce billet est pour le moins particulier. Alors que les morts dus à la COVID-19 se comptent par milliers et les cas par dizaines de milliers uniquement au Québec, alors que le nombre de personnes sans emploi atteint des sommets inégalés, alors que les mesures de confinement et de distanciation, qui durent depuis 4 mois maintenant, entraînent toute une panoplie de conséquences sociales importantes, on peut légitimement se demander si parler de cyclisme est réellement nécessaire. J'ose péremptoirement déclarer que oui : il ne faut pas parler de cyclisme malgré le coronavirus, mais bien à cause du coronavirus. Ce qui rend d'autant plus inacceptable ce que j'ai vu en ce samedi ensoleillé de mai 2020.

Nous sommes le 2 mai 2020, un beau samedi ensoleillé où le mercure atteint aisément les 20 degrés. À ce moment, le confinement dure depuis un mois et demi, et les gens se cherchent désespéremment quelque chose à faire, à commencer par les familles qui doivent, depuis ce même mois et demi, gérer la marmaille temporairement déscolarisée. On se rappelera qu'à ce moment, la plupart des activités sociales sont formellement interdites, y compris tout rassemblement. Donc, côté sportif, pas de matchs de soccer, pas de camping, pas de baignade, etc. Le vélo fait donc parti des quelques alternatives encore possible, particulièrement pour les familles dont les enfants sont peu enclins à apprécier les bienfaits des longues marches contemplatives.

Aucune surprise donc, à ce que les pistes cyclables soient bondées. Et ce serait très bien, tout le monde nous assène que le vélo est l'activité parfaite en temps de confinement. La ville de Québec elle-même met cette activité de l'avant en première page de son infolettre distribuée à tous ses habitants.

Pourtant, sur le corridor des Cheminots, un des trois axes cyclables principaux de la ville, voici ce que l'on retrouve:

  • Des blocs de bétons (utilisés pour empêcher le passage des motoneiges en hiver, disons que leur utilité en mai est discutable...) qui laissent à peine passer les cyclistes et rend la traverse des rues périlleuses.

  • Une section carrément fermée (ça en devient folklorique), sans aucun détour comme à l'habitude.

  • De la neige un peu partout sur la piste, obstruant parfois une bonne partie des voies et transformant le reste en piscine.

  • Je garde le meilleur pour la fin: dans le tunnel sous Henri-IV, évidemment, que retrouve-t-on? Une gigantesque plaque de glace, sans aucune signalisation d'avertissement bien sûr.

Je rappelle que la période d'ouverture officielle des pistes cyclables, selon ce que dit la ville de Québec elle-même, commence le 1er mai. La ville de Québec a également émis un communiqué dans lequel nous pouvons lire ceci:

Le nettoyage des bandes et des pistes cyclables est en cours. Les équipes de la Ville sont à pied d’œuvre pour ouvrir le réseau. Le nettoyage a été priorisé dans les secteurs les plus achalandés, soit ceux à proximité des principaux services et du réseau hospitalier. En ce qui concerne le marquage des voies cyclables, la Ville procédera lorsque la température atteindra au moins 10°C la nuit, et ce, comme chaque année. Considérant la situation d’exception actuelle, il est possible que ces travaux prennent plus de temps qu’à l’habitude, c’est pourquoi la Ville appelle à la prudence et à une saine cohabitation entre tous les usagers de la route.

J'ai deux problèmes avec ce communiqué. Premièrement, la "situation d'exception" est une belle excuse pour répéter exactement la même chose que ce qu'ils font toutes les autres années. Qu'est-ce que la COVID a à voir avec l'ouverture des pistes cyclables, de toute manière? Si on pouvait déneiger des routes en mars, je ne vois pas pourquoi on ne peut pas déneiger des pistes en avril... D'ailleurs, à titre informatif, la ville a manifestement eu quand même le temps d'installer des installations de comptage de vélos sur cette même piste. Je suis conscient que l'on ne parle pas du même département, mais à un certain point, si on a les moyens de compter les cyclistes, on a certainement les moyens de leur éviter une fougueuse étreinte avec l'asphalte.

Au delà de tout ça, il y a une différence entre un irritant et un danger. Par exemple, que le nettoyage des rues ait pris plus de temps qu'à l'habitude est un irritant : aucun cycliste n'en est content, mais personne n'est pris par surprise. Une plaque de glace impossible à éviter, le 2 mai à 20 degrés, sur une piste cyclable principale de la ville, sans signalisation d'avertissement, est un danger. Je n'ose imaginer le nombre de personnes qui sont tombées à cause de cette négligence. Imaginez un enfant à vélo, pensez-vous vraiment qu'il est préparé à cela? Un patineur à roulette? C'est purement et simplement une horreur que ce genre de situation ait pu seulement se produire. Ce n'est pas un oubli, c'est de la négligence pure et simple.

Et je sais que la ville a émis un communiqué enjoignant les cyclistes d'être prudents. Cette situation reste inacceptable. Déjà parce que s'il suffisait d'envoyer un communiqué recommandant d'être prudent pour s'exonérer de tout blâme, on ne serait plus responsable de grand chose. Tenez, le MTQ aurait dû envoyer un communiqué disant "d'être prudent sur le réseau routier", comme ça on aurait pu dire que l'effondrement du viaduc de la Concorde était dommage, mais que les gens avaient été prévenus...

Je me doute de ce que certains me rétorqueront : le cyclisme, c'est du loisir, rien ne vous oblige à prendre vos vélos, alors que mon char, c'est indispensable! Bien que je sois (de manière prévisible) totalement opposé à cette interprétation, a fortiori lorsque la ville nous rabâche les oreilles depuis 15 ans avec son réseau cyclable prétendûment utilitaire, admettons que je me fasse l'avocat du diable et que j'accepte cette prémisse. Prenons donc un autre exemple dans le domaine du loisir : les piscines. Imaginons que la ville ait ouvert ses piscines en recommandant la prudence. Vous y allez et tout se passe bien, jusqu'à ce que vous et vos enfants soyez victimes d'une intoxication au chlore, parce que personne n'est venu contrôler le niveau de chlore en raison de la pandémie. Vous vous retrouvez à l'hôpital avec vos enfants en raison de cet incident. Vous diriez vous que c'est bien normal, après tout, on vous avait prévenu d'être prudents? Bien sûr que non, parce que même si c'est un équipement de loisir, la ville ne peut pas simplement s'exonérer de tout blâme peu importe ce qui se produit.

C'est la même chose ici : d'accord, retardez la mise en place des bollards et le traçage des voies cyclables. C'est irritant, mais on peut effectivement être prudent et en tenir compte. Mais ne venez pas me faire croire que la présence d'une plaque de glace non signalée par un samedi après l'ouverture officielle de la saison cyclable est un simple irritant, c'est un grave danger qui n'aurait tout simplement jamais dû se produire.

Il vous est impossible de retirer ces plaques de glace et de garantir une continuité des pistes cyclables principales? Soit! Émettez un communiqué expliquant que le réseau cyclable n'est pas ouvert et que la ville interdit l'utilisation des pistes cyclables sur son territoire. Je serai extrêment caustique face à votre incompétence, mais au moins ce ne sera pas d'une hypocrisie crasse. Vous ne pouvez pas à la fois dire que la ville se soucie des pistes cyclables et qu'elle recommande leur utilisation pendant la crise de la COVID et que la ville n'a pas les moyens de les entretenir et de les rendre sécuritaires. Il faut choisir!

Autres problèmes printaniers

Je me suis concentré sur le cas le plus patent de cette négligence, mais, comme à chaque année, il y en a bien d'autres. Par exemple :

  • Des viaducs complètement inondés sur le Corridor du Littoral (génial pour les familles avec des remorques pour leurs enfants...). Et ne me dites pas que c'est parce qu'on a reçu trop d'eau, il est tombé 47mm de pluie en mai sur Québec par rapport à une moyenne de 116! Tous les viaducs étaient touchés, mais celui dans la photo est particulièrement intéressant puisqu'il passe sous une sortie d'autoroute (rue du Manège), que les cyclistes devaient donc traverser à pied, sans signalisation adaptée...

  • La piste Samuel-de-Champlain, avec des travaux pas terminés et mal signalés.

  • Le Vieux-Port de Québec, avec une piste tout simplement fermée et condamnée. Le seul détour possible était par la rue du Quai St-André (la suite du Boulevard Charest...)

  • La descente de la Pente Douce, avec une signalisation pour le moins contradictoire.

  • Vous reprendrez bien un viaduc inondé? Nous sommes le 3 juillet (en plein été, donc). Il n'y a eu aucune précipitation depuis 3 jours, et la dernière averse importante (>10mm) date du 24 juin (vérifiez par vous-mêmes), soit 8 jours plus tôt. Néanmoins, voici l'état du viaduc sous l'avenue d'Estimauville, qui fait pour rappel partie du Corridor du Littoral, la piste cyclable qui se rend aux Chutes Montmorency.

Évidemment, cela n'est pas signalé et situé après un virage prononcé:

Oui, mais la COVID!

J'en ai glissé un mot dans la section précédente, mais ajoutons ici quelques détails. Observons les images suivantes :

Elles ont respectivement été prises le 5 et le 11 juin. La première est sur l'axe 3e avenue / du Pont et la seconde en bas de la Pente-Douce. Pour vous donner une idée de ce que devrait être la rue du Pont, voici une prise de vue au cours de l'été:

On peut constater qu'il manque du marquage et des séparateurs à un endroit on ne peut plus crucial, là où la piste cyclable ne suit plus le bord du trottoir alors qu'une voie apparaît pour permettre aux automobilistes de tourner à droite. De même, on peut voir dans la photo de la Pente Douce que bien que la piste cyclable soit tracée, les automobilistes peuvent toujours se stationner en plein milieu, en bas d'une descente prononcée.

Bref, inacceptable. Je sais cependant ce que vous allez me dire : oui, mais la COVID! C'est bien dommage, mais à circonstances exceptionnelles, il faut aussi tolérer des petits désagréments dans ce genre -- par petit désagrément, je veux bien entendu dire "risque important à la sécurité des cyclistes". Il n'y a qu'un mini, micro, nanoscopique détail à relever ici. Ces images n'ont pas été prises en 2020. Elles datent de juin 2019. Pas de COVID, pas de crise, pas de situation exceptionnelle. Et pourtant, plus d'un mois après le début de la saison cyclable officielle, on retrouvait ces problèmes.

Quand je soutiens que la COVID a le dos large, c'est précisément ce à quoi je fais référence. C'est une excuse commode pour 2020, mais qui n'a absolument aucun lien avec le fait que les mêmes situations existent et continueront d'exister à tous les printemps. Pas à cause d'un virus, des conditions météorologiques ou de la situation économique : simplement parce qu'au final, la sécurité des cyclistes n'est importante que sur papier et dans les beaux discours. Et ça, ça va demander plus qu'un vaccin pour changer...

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