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Le danger latent pour les cyclistes des zones de travaux non aménagées

J'ai déjà présenté, avec une lassitude contenue mais néanmoins croissante, de nombreux exemples de zones de travaux comportant des aménagements mauvais et dangereux pour les cyclistes (ce billet et celui-là rassemblent la plupart des exemples). Dans certains cas, percevoir la source de danger est trivial : quand un autobus frôle un panneau placé dans la piste cyclable, ne laissant que quelques millimètres à un cycliste éventuel, déduire un problème de sécurité est assez évident. Toutefois, dans d'autres cas, d'aucuns pourraient arguer que ce n'est en fait pas si dangereux que ça et, qu'au final, c'est aussi au cycliste de faire sa part pour assurer sa sécurité. Dans ce billet, je démontre par l'exemple comment une zone de travaux en apparence totalement bénigne peut constituer un danger important pour un cycliste respectant par ailleurs toutes les règles.

Mise en situation

Suite à la mise en place de la piste cyclable sur la rue de Montmagny, dans Saint-Sauveur, la ville de Québec a décidé de rendre une (petite) portion de la rue (environ 50 mètres) uniquement cyclable. Précisons d'entrée de jeu que je suis tout à fait d'accord avec l'idée en elle-même, c'est son exécution qui pose problème.

La réfection de cette petite portion impliquant (forcément) des travaux, voici la situation telle qu'elle se présentait, pendant un peu moins d'un mois :

carte_travaux_montmagny.png
Vous pardonnerez mes talents limités de graphiste

Donc, le trait vert représente la voie cyclable "normale", le surligné rouge la portion qui était fermée pendant les travaux et le surligné bleu le détour que les cyclistes devaient prendre. Notons que l'échelle de cette carte est très grande, le détour représente à peine une centaine de mètres.

Détail important, les travaux empiétaient également un peu sur les rues adjacentes (le surligné bleu donc). Cela aura son importance.

En ce qui concerne la signalisation? Aucune spécifique aux cyclistes, j'imagine qu'on s'attendait à ce que les cyclistes devinent d'eux-mêmes le chemin à prendre -- et à ce que les automobilistes soient prudents automatiquement.

D'accord, mais où est le problème?

À ce stade-ci, on pourrait me rétorquer que 1) des travaux, ça gêne tout le monde et que les cyclistes n'ont pas le monopole de la vertu, 2) que, bien franchement, ce n'est pas la mer à boire, la zone de travaux pouvant être traversée en moins de 30 secondes, 3) qu'il n'y a aucun danger réel pour les cyclistes dans cette situation et 4) que c'est un peu ingrat de ma part de me plaindre alors que la ville est justement en train d'aménager une piste cyclable.

Le point 4 est selon moi hors sujet (ce n'est pas parce que j'aide mon voisin à tondre son gazon que je peux m'amuser à passer sur ses plates-bandes en toute impunité) et les points 1 et 2 sont à mon sens subordonnés au point 3. Car oui, cet aménagement pose un danger pour les cyclistes, y compris ceux respectant en tous points le code de la route.

Mais comment, dites-vous donc? Rien de mieux qu'un exemple en vidéo, situation réelle provenant d'un de mes trajets. Notons bien, puisque je flaire le scandale potentiel, que la caméra est une caméra fixée à mon guidon, que je ne manipule pas lorsque je suis en déplacement. Elle filme toute seule, comme une grande.

Que se passe-t-il dans ce vidéo? Je vous offre une description détaillée, seconde par seconde :

  • 0:01 : je m'engage sur la rue Raoul-Jobin. Celle-ci est libre, mais l'intersection un peu plus loin est obstruée. Je procède donc tranquillement.
  • 0:05 : je m'approche de la rue de l'Aqueduc en me demandant pourquoi l'automobile en avant attend. Je m'aperçois que le chauffeur d'autobus (arrivé à l'arrêt bien avant moi) souhaite quant à lui tourner à gauche sur Raoul-Jobin, et qu'il manque d'espace pour le faire.
  • 0:13 : respectant le CSR qui m'impose de laisser passer l'autobus (qui est arrivé avant moi à l'arrêt), et souhaitant aussi être courtois, je me tasse donc contre le trottoir et fait signe au conducteur qu'il peut y aller (on peut voir mon signe de main grâce à mon ombre sur le trottoir).
  • 0:20 : l'autobus commence à tourner. Toutefois, une autre automobile arrive derrière moi et décide que, manifestement, "il y a de la place". Réalisant à son grand dam quelques secondes plus tard que d'espace vide, il y en avait davantage dans sa tête que sur la route, le conducteur décide audacieusement d'accélérer pour passer le stop, tout en me frôlant. Quand je parle de frôler, c'est littéral : j'ai dû lever ma jambe gauche pour éviter qu'elle ne soit prise en sandwich. Au final, l'automobile est passé à littéralement quelques millimètres de moi. (Petite note : si vous croyez que vu les faibles vitesses, "ça n'aurait pas pu me faire grand chose même si l'auto m'avait touché", je n'ai qu'une chose à vous dire : essayez. Ça m'est déjà arrivé et je peux vous certifier que vous allez regretter d'avoir douté. Par ailleurs, demandez-vous : si quelqu'un accrochait votre auto à faible vitesse, seriez-vous aussi complaisant? J'en doute.)
  • 0:27 : par après, je me fais couper à l'arrêt alors que je tente désespérément de me sortir de cette zone de danger. Non, je n'ai pas volontairement laissé la priorité (désolé madame, lever la main ne m'impose pas de vous la laisser), oui, j'avais la priorité en vertu du CSR (j'étais à l'arrêt bien avant l'auto grise) et oui, je voulais passer pour éviter de me faire happer par derrière, pour de bon cette fois.

Si je récapitule, nous avons ici un cycliste qui :

  1. A respecté à la lettre le Code de la Route et la signalisation en place.
  2. A été courtois envers un autre usager de la route.
  3. Roulait sur un parcours cyclable désigné par la ville.
  4. Utilisait un vélo comportant tous les réflecteurs et phares requis, en plein jour.

Et pourtant, je suis passé à quelques millimètres de la collision... À ce stade, que vouliez-vous que je fasse de plus? Ma question est sérieuse : qu'aurais-je dû faire différement? Je ne suis pas omniscient et une boule de cristal se transportant mal à vélo, je ne peux voir le futur. Bien sûr que si j'avais su tout ce qui allait se passer, j'aurais agi différemment, probablement en attendant que l'automobiliste pour qui la vie d'un cycliste valait moins de 10 secondes passe et aille couper quelqu'un d'autre. Mais voilà, en l'état, sans avoir rien à me reprocher, je suis passé à deux doigts de l'accident. Et c'est exactement pour cela que les zones de travaux doivent être aménagées en tenant compte des cyclistes. Pour que, par design, ce genre de situation ne puisse pas se produire.

Parce qu'en l'état, j'ai une réponse à "qu'est-ce que j'aurais dû faire". Une réponse qui ne plaira certainement pas : ne pas respecter le code de la sécurité routière ni les autres usagers de la route. Reprenons la vidéo : imaginons qu'à 0:09, au lieu de me tasser à droite pour laisser passer l'autobus, j'oblique à gauche. Je coupe l'autobus : totalement illégal, mais sécuritaire pour moi, l'autobus étant arrêté et le chauffeur regardant dans ma direction. Les chances de collision sont infimes. Je passe donc devant tout le monde au mépris des règles, mais la conclusion subsiste : j'aurais évité cette situation dangereuse. Vous voyez, c'est cela qui me chicote au plus au point : à mon grand dam, ce genre d'événement donne raison aux cyclistes qui coupent tout le monde et se fichent des règles. Je ne veux pas en arriver là. Je comprends l'important du respect (des règles, mais encore plus des autres). Mais si c'est pour risquer notre vie, je serai bien en peine de faire comprendre cette position à d'autres cyclistes...

On notera au passage que dans cette situation, j'étais seul. Je me considère de plus comme relativement expérimenté. Maintenant imaginez ce qui se serait produit si ces cyclistes avaient eux aussi été présents?

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Même endroit, même heure, quelques jours d'écart

La photo a été prise à un autre moment, mais la même situation aurait tout à fait pu se produire... Il n'est pas normal que la sécurité des cyclistes, particulièrement des enfants, dépende de la chance alors qu'ils sont sur un parcours cyclable principal dûment identifié!

Autres zones de travaux

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Rue du Pont, St-Roch, mi-mai 2018

Vous êtes donc maintenant en mesure de comprendre pourquoi la zone de travaux présentée plus haut est dangereuse pour les cyclistes. Pas seulement ennuyante ou gênante : dangereuse. Il n'y a aucune signalisation permettant d'assurer une séparation automobile-vélo : forcément, les automobiles se retrouvent donc à moitié dans la piste cyclable...

Même chose ici, cette fois sur la 8e Avenue, à Limoilou :

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Coin 8e Avenue/18e rue, juillet/août 2018

C'est bien beau les panneaux "Détour", mais :

  1. Ils sont contradictoires (un dit à gauche, l'autre à droite)
  2. Ils envoient tous deux les cyclistes sur la 18e rue, une voie de transit passante, et ce sans aucun aménagement.
  3. En fait, peut-on passer ou non à vélo? Au vu des panneaux... aucune idée.

Le fait que les détours soient généralement inexistants pour les cyclistes n'empêche toutefois pas d'encombrer leurs pistes autant que faire se peut lorsque ça concerne les automobilistes :

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3e Avenue, Limoilou, juillet 2018

Ici, le Chemin de la Canardière est barré. Ça ne devrait rien changer pour les cyclistes qui veulent simplement continuer sur la 3e avenue, mais bon : placer intelligement les panneaux eut été trop simple...

Un autre cas? Le bas de la côte de la pente douce, août 2018 :

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Coin Marie-de-l'Incarnation / Pente-Douce

Non content de bloquer complètement l'accès aux cyclistes inutilement (le trajet cyclable passe par de Montmagny, rue qui n'était pas touchée par les travaux ayant lieu sur d'Arago), cette signalisation envoie les cyclistes directement sur Marie-de-l'Incarnation, un boulevard à 3 voies. Bien évidemment, aucun aménagement n'a été mis en place pour assurer la sécurité des cyclistes qui voient soudain le seul lien cyclable du quartier complètement bloqué...

Vous voulez plus de cônes et de panneaux dans la piste? Pas de problème, on a ça aussi!

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3e avenue / 42e rue (Charlesbourg), juin 2018

Encore une fois, une piste cyclable complètement obstruée (sans que les travaux ne la concernent) et aucune signalisation en place pour indiquer la présence des cyclistes dans les voies automobiles.

Un autre bel exemple d'inaction? C'est cadeau :

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Boulevard Père-Lelièvre, été 2018

Oublions pour le moment le fait que le panneau annonçant un rétrécissement soit positionné dans la piste cyclable, ça en devient une habitude. Mais surtout, qu'y a-t-il plus loin?

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Même endroit, 100 mètres plus loin

Comme on peut le constater, la piste cyclable est complètement coupée par ce rétrécissement. Toutefois, une voie automobile l'est aussi, au point où elle n'est plus utilisable. Quel aurait été le mal d'utiliser ce reste de voie, de toute manière inaccessible aux automobiles pour permettre aux cyclistes de passer de manière plus sécuritaire? La réponse, je m'en doute bien, se résume à : rien, si ce n'est une vingtaine de cônes supplémentaires, mais au fond on s'en fiche un peu des cyclistes...

Un dernier exemple pour la route?

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4e avenue, coin des Bouleaux, août 2018

Une piste cyclable qui disparait à cause des travaux, sous un viaduc qui rétrécit déjà la largeur de la voie de circulation. On ajoute à cela le panneau placé à l'envers dans la piste cyclable et on se retrouve avec un bon combo. Frissons garantis.

Conclusion

Il y a beaucoup d'autres situations à présenter, mais, pour reprendre la formulation de l'introduction, je suis las. Las, parce que clairement, rien ne change : en ce moment, si une zone de travaux se trouve à être mieux aménagée, c'est simplement dû à la chance. Pour la plupart, les défauts évoqués dans mes articles (signalisation incorrecte, panneaux dans les voies cyclables, détours incohérents ou carrément inexistants pour les cyclistes, etc.) sont présents, encore et encore. À ce stade, je pense avoir démontré mon hypothèse : ne pas tenir compte des cyclistes dans les zones de travaux est dangereux. On peut s'en ficher, mais clairement pas l'ignorer. Et si on s'en fiche? Soit, mais cessez dans ce cas de clamer haut et fort à quel point la ville de Québec favorise les déplacements à vélo.

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