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La folie de l'octogone écarlate

On nous martèle souvent que les cyclistes ne respectent pas les arrêts obligatoires. Si, d'un strict point de vue législatif, c'est vrai, quoiqu'à nuancer par une comparaison avec le comportement des automobilistes (voir article sur le respect du CSR), on néglige souvent un facteur crucial qui influe beaucoup sur le non-respect du Code de la sécurité routière. Ce facteur, je vais l'exprimer ici d'une manière quelque peu crue, mes lecteurs me le pardonneront : le sentiment d'être pris pour un débile.

J'explicite mon propos. Il est naturel pour la plupart des cyclistes de s'arrêter lorsque leur piste croise une route à haut débit de circulation ou lorsque la visibilité de l'intersection est déficiente. Peu de cyclistes iront par exemple contester un arrêt obligatoire lorsque la piste cyclable du Grand Tronc croise la 116. Les arrêts obligatoires, tout comme les autres dispositifs de signalisation, sont tout à fait acceptables lorsqu'ils sont placés de manière réfléchie. Le problème survient lorsque la signalisation devient contraire à toute logique. Lançons-nous donc dans un petit florilège des arrêts les plus éhontément stupides. Ceux qui préfèrent passer directement à l'analyse et à la conclusion peuvent aller à la section Récapitulatif.

Corridor des cheminots

Le Corridor des Cheminots (une des voies cyclables principales de la ville, plusieurs milliers de cyclistes et de patineurs à roulette l'empruntant chaque jour[1]) a des arrêts obligatoires (sans qu'il n'y en ait sur la route croisée) lors des croisements de :

  • La très achalandée rue Parent, à Loretteville/Wendake (oui vos yeux ne vous trompent pas, la rue en question est moins large que la piste cyclable...) :

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  • Une entrée de service d'Hydro-Québec, tellement peu usité qu'un remorqueur s'y est carrément installé... On remarque la bonne visibilité et l'espace disponible des deux côtés pour un éventuel véhicule lourd qui voudrait traverser la piste :

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  • Un centre jardin fermé et visiblement désaffecté :

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  • Un cul-de-sac (rue des Érables) :

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  • Un sentier de terrain de golf (la photo du haut montre la vue de la piste et celle du bas une photo de ce sentier qui a, rappelons-le, priorité sur cette piste cyclable principale) :

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  • Un autre sentier un peu plus loin sur le même terrain de golf (le sentier du terrain de golf ayant toujours priorité) :

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  • Pas mal plus loin sur la même piste (près de Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier), l'arrêt obligatoire de la très courue rue Châteauvert :

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En même temps, c'est vrai que les milliers d'automobilistes sortant de cette sente dotée d'une boîte à journal (on ne peut pas vraiment appeler ça une rue) ne pourraient jamais voir venir les cyclistes. Vous comprenez, il se peut que des automobiles déboulent à la vitesse pharamineuse de... 5 km/h : IMG_20150905_113423.jpg

Quelqu'un croit vraiment qu'il est logique que les cyclistes empruntant la piste cyclable principale de la région aient à faire un arrêt complet et laisser la priorité à la seule automobile qui doit y passer une fois tous les 10 ans?

Piste du Vieux-Port et Promenade Samuel-de-Champlain

La promenade Samuel-de-Champlain fait partie des pistes cyclables les plus achalandées de la région. En 2010, on y a mesuré un débit quotidien maximal de plus de 4000 cyclistes (sans compter les patins à roues alignées)[2]. Les usagers de cette piste cyclable doivent tout de même céder la priorité à :

  • L'entrée du stationnement du marché du Vieux-Port (on remarque que les automobilistes doivent de toute façon s'arrêter 50 mètres plus loin à gauche pour passer la guérite du stationnement...) :

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  • Moins de 100 mètres plus loin, une sortie alternative du marché du Vieux-Port, très rarement utilisée (elle est d'ailleurs condamnée sur la photo, comme la plupart du temps) :

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  • Un passage piéton près du marché du Vieux-Port. Alors certes, on peut me rétorquer que oui, mais c'est important de protéger le passage piétonnier! Le problème, c'est que comme on peut le voir, les automobilistes juste à côté n'ont quant à eux pas d'arrêt à faire. En gros, les piétons, c'est assez important pour faire arrêter les cyclistes, mais pas les automobilistes? Il y a certes un passage piétonnier (qui devrait techniquement forcer les automobilistes à laisser la priorité aux piétons, bien qu'en pratique ce ne soit pas toujours le cas, loin de là), mais pas d'arrêt. À 21h un soir d'octobre, les cyclistes doivent techniquement quand même s'arrêter, quand bien même que le marché soit fermé et que les touristes aient déserté la place depuis belle lurette. Finalement, je tiens à faire remarquer que cette voie automobile est un passage de stationnement, par opposition à la piste cyclable qui est une voie de circulation et de transit (en fait, la seule piste cyclable de ce secteur)...

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  • L'entrée du second stationnement du marché du Vieux-Port. En fait, dans ce cas-ci c'est encore plus ridicule, puisque pour respecter intégralement la signalisation, les cyclistes devraient à la fois faire un arrêt complet ET attendre le feu piétonnier. Autrement dit, si le feu piétonnier n'est pas actif, les cyclistes devraient s'arrêter et l'attendre, chose que même les piétons circulant sur le trottoir à côté n'ont pas à faire!. Par ailleurs, même si le feu piétonnier est actif, alors les cyclistes doivent quand même s'arrêter pour un arrêt complet (n'exagérons pas tout de même, vous ne pensiez pas sérieusement que les cyclistes allaient réellement avoir priorité ne serait-ce qu'un centième de seconde, si?). À noter qu'il y a aussi un autre arrêt obligatoire 10 mètres plus loin ainsi qu'un panneau forçant les cyclistes à descendre de leur vélo, mais je n'ai pas très bien compris pourquoi – quelqu'un pourrait m'expliquer comment on peut ne pas avoir le droit d'être sur notre vélo dans une piste cyclable?

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  • Les deux entrées de stationnement du bateau Louis-Joliet (vachement utile compte tenu de l'utilisation de ce stationnement et du fait que la seconde entrée est la plupart du temps condamnée par la chaine que l'on peut voir sur la photo...) :

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  • Une traverse piétonne... condamnée. On remarque aussi le second arrêt 5 mètres plus loin :

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  • Un arrêt accordant la priorité aux automobilistes quittant la guérite de paiement du traversier. Tout le monde sait bien qu'après avoir payé, un automobiliste doit repartir à 115 km/h et qu'il est impensable qu'il accorde la priorité à qui que ce soit, quand bien même il doit de toute façon s'immobiliser 10 mètres plus loin pour attendre le traversier...

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  • Un autre arrêt “temporaire” qui dure, à cause de certains travaux dont la nature m'échappe quelque peu. Il y a même de jolis panneaux incitant les cyclistes à respecter l'arrêt obligatoire “pour notre sécurité”. Je veux bien sauf qu'en l'état cet arrêt est proche de l'inutilité totale (ou alors on cède la priorité à une clôture?) :

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  • L'entrée/sortie du stationnement du bassin Brown (par ailleurs régulièrement fermé) :

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  • Une entrée quelconque du port de Québec. On me dira : oui, mais si on regarde bien, on voit qu'il y a des camions donc c'est dangereux et il faut que les cyclistes arrêtent. Soit, mais dans ce cas pourquoi les automobilistes du Boul. Champlain peuvent-ils continuer de rouler à 80 km/h, sans même un feu jaune clignotant d'avertissement? Une dangerosité à deux vitesses?

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  • Une autre entrée industrielle (en face de la côte Gilmour). On remarque que les concepteurs de cette route ne semblent pas pour autant avoir une aversion pour les arrêts, puisqu'il y en a un 20 mètres plus loin à gauche de toute manière...

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  • L'entrée de la marina de l'Anse-au-Foulon. Notons par ailleurs que les deux derniers exemples ne sont pas aux normes en ce qui concerne le Ministère des Transports du Québec : “Les aménagements dits « en chicane » et les dos d'âne sont à éviter”[3] :

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Pour donner une petite idée de ce que ces arrêts représentent pour un cycliste, j'ai filmé une petite expérience. J'ai effectué le trajet suivant : carte_vieux-port.png

Rien d'exceptionnel comme trajet donc, à peine un quart de kilomètre. À une vitesse très raisonnable de 20 km/h, on parle d'à peine 45 secondes de déplacement. Pourtant, j'ai mis plus de trois fois plus de temps pour parcourir cette même distance. Pourquoi? Voyez par vous-mêmes :

Dans l'ordre, nous avons donc :

  • Deux arrêts obligatoires pour des entrées de stationnement... désaffectés. (0:10 et 0:27)
  • Un "stop-lumière" à 0:37, qui, pour permettre la traversée d'une entrée de marché public, requiert 1:30 minutes d'attente!
  • Un autre arrêt obligatoire à 2:35. On notera que les automobilistes n'en ont évidemment pas, eux.

Je ne suis pas spécialement anarchiste et n'ai pas de problème avec les règlements. Mais dans ce cas-ci, requérir des cyclistes qu'ils respectent de telles absurdités est tout simplement insultant. Au final, que font tous les cyclistes? Ils font comme celui à 1:02 et, comme toute personne sensée, ils ignorent cette signalisation inutile.

Le lien Domaine Maizerets - Vieux Port

Ce lien cyclable important fait partie du Corridor du Littoral, l'une des deux pistes cyclables majeures de la ville. Il relie le Domaine Maizerets (et donc les Chutes Montmorency) et le Corridor des Cheminots au Vieux Port et à la rivière St-Charles. Il passe en dessous de l'autoroute Dufferin-Montmorency et ne croise aucune route jusqu'à la rivière. On serait donc en droit de s'attendre à un aménagement relativement rectiligne sans arrêts d'importance, n'est-ce pas?

Évidemment pas. Voyez-vous, sous cette autoroute, il y a également des trains. Oh, ce ne sont pas des voies très achalandées, mais elles sont bel et bien là. Et, encore une fois, au lieu d'opter pour une solution pratique, on a décidé de faire un peu n'importe quoi. Prenons ce croisement ferroviaire : IMG_20150524_173441.jpg

On a donc, dans l'ordre, un aménagement en chicane (qui, je le rappelle, sont à éviter, dixit le MTQ...), un arrêt obligatoire, puis un feu de croisement ferroviaire. Pourquoi un arrêt placé à un endroit où la vitesse moyenne des cyclistes doit avoisiner le 10 km/h à cause des virages serrés précédents et où la lumière et le son des feux annonçant un train sont visibles et audibles à 10 km à la ronde? Je ne sais pas vraiment, d'autant plus que ce n'est même pas cohérent avec l'autre sens qui, lui, n'en a pas...

Si on va un peu plus loin, ce n'est pas vraiment mieux. On retrouve un autre croisement avec une voie ferrée, encore moins utilisée. Qu'y retrouve-t-on également, selon vous? Oui, une chicane, en effet. Mais ce n'est pas tout : il y a aussi un arrêt obligatoire, bien sûr! IMG_20150524_173556.jpg

On remarque par ailleurs un autre arrêt obligatoire, littéralement 10 mètres plus loin. Ce second arrêt est tout autant inutile : la piste cyclable croisée ne mène à rien vers la gauche, elle s'arrête après une vingtaine de mètres. On peut d'ailleurs le voir en observant le panneau d'indications, sur lequel absolument rien ne pointe à gauche -- formellement, il n'y a pas rien, on retrouve l'incinérateur municipal... En gros, tous ceux arrivant de la droite tournent à gauche et tous ceux arrivant de la voie ferrée tournent à droite. Ça valait vraiment la peine de forcer tout le monde à s'immobiliser complètement pour prévenir le cas de l'unique cycliste de l'année (les années bissextiles seulement) voulant se rendre à l'incinérateur municipal en vélo?

Piste de la route 116 (Lévis / St-Romuald)

Déplaçons-nous maintenant du côté de Lévis, sur un tronçon de la Route Verte (#5). Celui-ci suit la 116 sur quelques kilomètres avant de devenir une piste à part entière. On y retrouve des arrêts obligatoires lorsque la piste croise :

  • L'entrée d'une fromagerie :

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  • L'entrée d'un bureau de vente de condominiums :

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  • L'entrée d'une industrie quelconque :

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  • L'entrée d'une pharmacie et d'une SAQ. En même temps, si on imagine le cas d'un automobiliste se rendant au Brunet dans le but de s'acheter des médicaments pouvant annuler l'effet des 23 Pepto-Bismol qu'il vient de prendre... Pour la SAQ je ne vois pas en revanche.

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  • L'entrée du stationnement d'un petit centre d'achats :

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  • L'entrée et la sortie (ça serait trop facile sinon...) d'un Métro :

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Au total, cette piste compte 11 arrêts de plus que la route dont elle est pourtant parallèle, sur un peu plus de 2 km, dont 5 dans l'espace de 400 mètres.

Piste cyclable de la 8e avenue (Limoilou)

Deux autres exemples “intéressants” d'aménagement sont donnés par la piste cyclable de la 8e Avenue, dans Limoilou. Cette piste (double sens) est aménagée dans un sens unique. Problème : les conducteurs débouchant des rues transversales ne s'attendent pas à ce que des cyclistes arrivent des deux côtés. Solution : installer des panneaux dans ces mêmes rues problématiques prévenant les automobilistes de la présence de cyclistes? Mais non, ce serait bien trop simple! Au lieu de ça, on va ajouter des panneaux d'arrêt aux cyclistes circulant dans l'autre sens. Donc, d'un côté, pas d'arrêt, une signalisation où la 8e Avenue (et la piste cyclable) a clairement priorité sur la rue transversale : IMG_20140810_093921.jpg De l'autre côté de la même intersection, surprise! Un panneau d'arrêt apparait! IMG_20140810_094006.jpg

La même situation se répète plus loin (on voit clairement l'absence de panneau d'arrêt pour les cyclistes et automobilistes arrivant de l'autre sens) : IMG_20140810_094156.jpg

Campus de l'Université Laval

Les cyclistes sont accueillis (virtuellement) à bras ouverts à l'Université Laval. On peut entre autres lire sur le site du SSP (Service de sécurité et de prévention) que :

Vous venez à l’Université Laval en vélo? Le Service de sécurité et de prévention (SSP) encourage fortement votre initiative et veut s’assurer que vos déplacements sont agréables en plus d’être sécuritaires.

Bon, le problème, c'est que la piste principale du campus (celle qui fait partie du Vélo-Boulevard) doit céder à priorité à, entre autres :

  • Une entrée de stationnement (un classique) :

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  • L'entrée/sortie de service d'un pavillon de service, sortie où les automobilistes ont de toute façon un arrêt obligatoire à faire pour accéder au Boul. René-Lévesque :

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Les cas incompréhensibles

Terminons en beauté par un dernier cas que je m'explique mal (sur la piste cyclable près du Colisée). Si un lecteur plus avisé avait l'obligeance de m'indiquer l'utilité de cet arrêt, je lui en serais fort reconnaissant : IMG_20140731_085318.jpg IMG_20140731_085342.jpg Protéger la clôture? Les arbustes qui pourraient se mettre à bouger soudainement? Les paris sont ouverts...

En fait, je fais mon naïf : je sais très bien pourquoi cet arrêt obligatoire est présent. Il y avait visiblement une entrée de stationnement. Sachant que toute entrée de stationnement, même condamnée 90% du temps, a forcément priorité sur une piste cyclable, un arrêt obligatoire a été installé sur la piste. Par la suite, cette entrée a semble-t-il été condamnée définitivement et personne n'a jugé bon de retirer l'arrêt. Cet exemple à lui seul démontre bien le je-m'en-foutisme auquel semble condamnée toute infrastructure cyclable : ce n'est pas de la méchanceté. C'est surtout, à l'égard des cyclistes, une profonde indifférence, une nonchalance poussée à des niveaux dépassant l'entendement. C'est un détachement complet face à leurs attentes, une apathie chronique, systématiquement présente à chaque fois que l'on conçoit ou rénove les pistes et autres infrastructures cyclables.

Alors, évidemment, qu'est-ce qui se passe quand un cycliste passe à cet endroit? Pensez-vous vraiment qu'il fait son arrêt complet, pied à terre? Bien sûr que non. La seule chose que cet arrêt lui confirme (ou lui apprend, selon sa naïveté initiale), c'est qu'on se préoccupe à peu près autant de sa personne que d'un lichen arctique perdu dans la toundra nunavikienne[4]. Vous pouvez vous en douter, ce n'est pas un tel constat qui prépare bien le terrain au respect du Code de la Sécurité Routière...

Récapitulatif

Je ne prétends nullement à l'exhaustivité dans mon énumération de la section précédente. Il existe beaucoup d'autres intersections à la conception apparemment absurde. Le but visé par la présentation de ces quelque 27 situations est de montrer la tendance, le schéma de pensée qui sous-tend présentement tout aménagement cyclable au Québec. Individuellement, chacune de ces situations peut être caractérisée comme une mauvaise conception, un moment d'absence voire un oubli de l'urbaniste responsable de celle-ci. Collectivement, elles révèlent à quel point les besoins des cyclistes en matière d'efficacité, de confort, d'agréabilité et de sécurité sont largement ignorés.

Que l'on se comprenne bien : tout cela n'est pas une question de caprices ou de jérémiades de la part de cyclistes intransigeants. C'est une simple question de logique. Imaginons-nous un instant tous ces arrêts obligatoires sur les routes longeant les pistes cyclables dans les exemples vus plus haut. Le Boul. Champlain cédant la priorité (via un arrêt complet, par-dessus le marché) à la sortie du stationnement du bassin Brown, à la marina de l'Anse-au-Foulon, à deux entrées industrielles du port, au stationnement du Louis-Joliet? Le Boul. René-Lévesque se voyant ajouter un arrêt complet à l'intersection d'une sortie de stationnement et d'une entrée de service de l'université? La route 116 cédant à la sortie d'un Métro ou celle d'un Yuzu (tout aussi bons que soient leurs sushis)? Le Boul. Bastien avec un arrêt complet afin de permettre aux camions d'Hydro-Québec de ne pas arrêter lorsqu'ils sortent du poste de transformation? Tout cela serait parfaitement absurde! Pourquoi en serait-il autrement des cyclistes?

On s'interroge beaucoup sur les raisons qui font que les cyclistes ne respectent pas les arrêts complets. À défaut de pouvoir m'exprimer au nom de tous les cyclistes, j'ai un premier élément de réponse : la stupidité des emplacements de ces arrêts. Tant que les cyclistes auront l'impression (justifiée) que les urbanistes et concepteurs de routes se fichent d'eux, il sera en effet difficile de les convaincre de “faire leur part” et de respecter les règles à la lettre.

Comportement des automobilistes

À n'en point douter, certains s'opposeront vertement à la conclusion de la section précédente. Je les entends d'ici me dire que “la loi, c'est la loi, pas d'exception!” voire m'accuser d'appeler à la désobéissance civile[5] (oui depuis que certains chroniqueurs à l'esprit critique peu enviable ont appris l'existence de se concept en 2012 – sans trop le comprendre, toutefois – ils aiment bien l'utiliser à toutes les sauces). On me rétorquera aussi que les automobilistes suivent toujours le Code de la route, eux, et qu'il n'y a pas de raisons pour que quelques personnes se pensant privilégiées parce qu'elles sauvent les pingouins ne fassent pas de même.

Premièrement, comme je l'ai déjà expliqué, cette affirmation est fausse, les incartades des automobilistes étant tout simplement entrées dans les moeurs ou carrément inconnues de la plupart des gens. Mais attardons-nous ici plutôt à une comparaison plus spécifique. L'idée sous-tendue depuis le début de l'article est qu'une conception incohérente entraîne des comportements illégaux, bien que sans danger. Analysons ce qui se passe lorsque ce ne sont plus des cyclistes qui font face à un panneau d'arrêt étrangement placé, mais les automobilistes.

Cette situation est plutôt rare, les urbanistes prenant bien soin de satisfaire les besoins des automobilistes, sous peine de subir les affres de lignes aussi ouvertes que navrantes. Elle peut cependant se produire à quelques occasions, en particulier lors de travaux routiers. Dans ce cas-ci, je me suis déplacé sur le Chemin Ste-Foy, présentement (été 2014) en travaux. Des arrêts ont été ajoutés un peu partout pour faciliter le travail des ouvriers. Intéressons-nous à un de ceux-ci. Voici d'abord comment il est vu depuis la route, par un automobiliste : IMG_20140824_112835.jpg

Comme on peut le constater, le panneau est très visible et d'une taille plus qu'adéquate (ce n'est pas évident suivant la perspective de la photo, mais le tas de blocs de béton est placé bien plus à gauche que le panneau). Il est donc peu vraisemblable qu'un conducteur ne le voit pas – et si c'est le cas, nous avons un autre problème...

Je me suis installé à droite de la route pendant une quinzaine de minutes, en fin de matinée le dimanche 24 août 2014. Lorsqu'une ou des automobiles approchaient, je filmais leur passage à l'arrêt. J'ai condensé ce 15 minutes en une vidéo d'un peu plus de 4 minutes (pour les suspicieux, on peut voir le faible décalage temporel entre les prises en observant l'ombre des arbres, constante sur toute la durée de la vidéo). Voici le résultat (on notera que j'ai volontairement ajouté une bande noire sur la vidéo, mon but n'étant, comme d'habitude, pas de pointer du doigt une personne en particulier) :

Dans les meilleurs cas, les automobilistes ralentissent un peu. En général, ils passent simplement tout droit à environ 50 km/h et, dans les pires cas, ils accélèrent au passage du panneau d'arrêt. J'aimerais dire que j'ai passé la journée là pour ne retirer que les pires cas, mais non : en l'espace de 15 minutes, j'ai pu constater plus d'une soixantaine d'infractions claires – je ne parle pas ici de “stops à l'américaine”, mais d'ignorer totalement le panneau d'arrêt – sur une rue à la circulation pourtant très clairsemée (on peut le voir par exemple sur la photo plus haut, où il n'y a aucune automobile en vue).

Morale de l'histoire? Le problème ne provient pas des cyclistes ou des automobilistes. Il provient d'un autre groupe qui, jusqu'à preuve du contraire, regroupe les deux précédents : les humains. Demandez à quelqu'un de faire quelque chose de stupide et d'inutile et il ne le fera pas. On notera à ce propos qu'aucun automobiliste de la vidéo précédente n'est dangereux; simplement hors la loi, tout comme les cyclistes qui ne s'arrêtent pas en posant pied à terre au beau milieu d'un terrain de golf fermé...

Conclusion

Ce billet ne vise pas à légitimer les actions illégales, mais à expliquer pourquoi elles sont inévitables dans certaines circonstances. Nous avons vu que les cyclistes étaient systématiquement mis de côté et qu'ils devaient toujours laisser la priorité, qui plus est avec un arrêt complet (pied à terre) même lorsqu'il n'y a personne à qui laisser cette priorité. Nous nous sommes concentrés sur les cas les plus patents, mais la liste de situations aberrantes aurait pu être encore longue. À titre d'exemple, voici une photo de la nouvelle piste cyclable suivant l'avenue d'Estimauville, à Beauport. On constate que les cyclistes doivent s'arrêter et attendre le feu piétonnier pour traverser... une entrée de centre d'achats désaffecté : IMG_20140823_113856.jpg IMG_20140823_113903.jpg

Dans ces conditions, pas besoin d'être grand clerc pour prévoir que les cyclistes contreviendront au Code de la sécurité routière et aux règlements municipaux, tout comme le font les automobilistes face à des situations du même acabit. Vous voulez réduire la “délinquance cycliste”? Commencez par faire preuve de logique lors de la conception des infrastructures. Le jour où les utilisateurs d'un “Vélo-Boulevard” n'auront plus à s'arrêter à tous les 175 mètres, où les itinéraires cyclables utilitaires ne compteront plus un arrêt tous les 30 mètres, où les sorties de stationnements désaffectés, les terrains de golf et les entrées de service n'auront plus priorité sur les corridors cyclables principaux, et vous aurez déjà un bon bout de fait. En attendant, si vous n'êtes pas d'accord, prenez votre vélo (ou empruntez-en un, c'est gratuit à la Coop Roue-Libre) et allez faire un tour sur les pistes cyclables en observant scrupuleusement le Code de la sécurité routière. Lorsque vous aurez mis inutilement pied à terre 10 fois sur 1 km et attendu cinq fois 3 minutes un feu piétonnier à un carrefour désert ne menant nulle part, vous commencerez peut-être à comprendre le ridicule de la situation. Sinon, au moins vous aurez fait du vélo, c'est bon pour la santé! Qui sait, peut-être que vous y prendrez goût?

Notes

[1] L'état du vélo au Québec en 2010

[2] Ibid.

[3] Normes MTQ, Tome I, chapitre 15, section 15.6.1.4 (Voies cyclables)

[4] À savoir très, très, très, très, très peu. Je m'excuse d'avance pour les biologistes arctiques que cette comparaison pourrait offenser.

[5] Non, je n'invente rien...

Commentaires

1. Le jeudi, juin 23 2016, 16:02 par dae

Excellent article, comme d'habitude !
Je vois malheureusement que 2 ans plus tard, rien n'a changé (en tout cas dans les lieux où je passe)

2. Le jeudi, mai 10 2018, 21:02 par pdespres

Je découvre ce blog merveilleux! Quel travail colossal de documentation. Dans la série octogone écarlate, celle-ci est pas mal:

https://www.facebook.com/Spotted.UL...

3. Le vendredi, mai 11 2018, 00:18 par Le zoïle à pédales

@pdespres

Merci beaucoup pour votre commentaire, c'est toujours apprécié. En effet, l'université Laval a fait fort sur ce coup là; il y a d'autres choses aussi, je suis en train de préparer un billet pour faire suite à celui publié il y a deux ans. Quand on ouvre l'oeil, on en voit des vertes et des pas mûres...

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