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Le fiasco de la 3e avenue

À la mi-mars, je vous parlais de ce faux scandale qu'était la prolongation de la piste cyclable de la 3e avenue, à Limoilou. Entre les commerçants qui parlaient déjà de faillite, l'opposition à l'Hôtel de ville qui en faisait ses choux gras et certains médias qui, sans trop approfondir, se voyaient déjà les défenseurs des commerçants et de leurs orphelins, il n'y avait pas grand chose de positif dans ce débat. Naïvement, je pensais que ça se calmerait et que les gens passeraient à autre chose... Comme j'avais tort.

De l'art de créer le problème

Savez-vous ce qui m'attriste le plus dans cette mise en demeure envoyée à la ville, dans ces débats acrimonieux et sans écoute d'un côté comme de l'autre, dans cette polarisation de tous et chacun (en gros, vous choisissez votre camp : prêt pour la mobilité de demain et protecteur de l'environnement -- selon le camp adverse, bobo enverdeur incapable de lever les yeux de leur fixie -- ou alors respectueux des commerçants et de la vitalité économique qu'ils apportent au quartier -- selon le camp adverse, automobiliste pollueur et capitaliste voulant transformer le monde entier en une gigantesque banlieue où tout autre véhicle que les automobiles serait interdit)? Savez-vous ce qui me frustre? C'est qu'il va effectivement y avoir des problèmes.

Je suis convaincu qu'un tel projet mené sans tambours ni trompettes n'aurait eu aucune incidence notable sur le chiffre d'affaires des commerçants du secteur. Mais maintenant, je suis raisonnablement convaincu que ça aura un impact. Pourquoi? Parce qu'en antagonisant tout le monde, les commerçants concernés ont réussi à mettre dans la tête de tout le monde n'habitant pas le coin que ce sera l'enfer sur terre. La géhenne pour les automobilistes. La onzième plaie, celle qu'Il n'a même pas osé lancer sur l'Égypte. Si je ne faisais que lire les nouvelles rapportées à ce sujet, je serais convaincu qu'il n'y aura plus une place de stationnement libre à moins de 10 km.

Vous voulez un exemple? Prenons la fin de cet article du Devoir, où le journaliste rapporte les paroles d'une cliente de la Fournée Bio :

À La Fournée Bio, deux clients ont néanmoins déjà choisi leur camp. Ils ne viendront plus ici s’ils n’ont plus de stationnement, confirment-ils, en s’excusant auprès de Sylvie Bouffard. Pas question de garer l’auto dans une rue parallèle. « J’ai des problèmes de santé », atteste la dame, après sa dernière gorgée de café.

Eh oh! Vous êtes au courant que les stationnements du côté de la Fournée Bio (côté est de l'avenue) ne seront PAS retirés? Les stationnements retirés ne concernent que le côté ouest! Par ailleurs même si c'était le cas, La Fournée Bio est située sur un coin de rue : se garer sur la 13e rue ou la 3e Avenue revient au même en termes de distance! Mais non : dans l'esprit de cette dame, elle a "choisi son camp". Peu importe les faits après tout...

Des mesures dignes d'un univers alternatif

Les commerçants, dans leur déclaration soutenant leur mise en demeure, indiquent également avoir présenté des solutions "alternatives", toutes écartées par la ville selon eux. Reprenons celles mentionnées par Le Soleil et analysons-les un peu :

  • On a proposé des voies partagées, on nous a dit que c’était impossible. La 3e Avenue est déjà une chaussée partagée à leur hauteur. Manifestement ils l'ignorent, ce qui en dit long. Mais bon, admettons, que dire de l'option du statut quo? Les chaussées partagées sont, selon toutes les définitions, destinées à être utilisées sur des axes à faible débit. Ce n'est pas le cas de la 3e Avenue. Un tel aménagement n'apporte rien de particulier aux cyclistes qui pourraient de toute façon rouler dans la rue et est généralement simplement ignoré par les automobilistes. Comme solution d'avenir, on peut trouver mieux...
  • Un sens unique? C’est encore à l’étude. Laissez moi rire. Lorsque la ville a décidé de transformer la Rue du Pont (dans St-Roch, à 1 km de là) en sens unique, on a assisté à une levée de boucliers de la part des commerçants du secteur. Il n'en serait nullement différent ici, j'en suis convaincu. Merci donc de ne pas suggérer quelque chose que vous n'êtes de toute façon pas prêts à accepter.
  • Nous avons suggéré de retirer un trottoir d’un côté de la rue. Ah oui, ça va améliorer l'accès local aux commerces ça. Sérieusement, la 3e Avenue est un des axes piétonniers les plus achalandés du quartier pendant l'été, et vous voulez qu'elle devienne la seule rue du quartier à n'avoir qu'un trottoir?
  • Ce n'est pas cité nommément dans l'article, mais on l'entend fréquemment : passer sur la 2e/4e Avenue. Là, j'admets avoir de la difficulté à suivre : vous voulez des cyclistes comme clients ou pas? Vous êtes conscients d'être en train de suggérer de retirer vos commerces des voies empruntées par les cyclistes, n'est-ce pas? Mais dans tous les cas, tout comme je l'ai expliqué dans mon précédent billet, ça ne changera absolument rien et les cyclistes continueront à emprunter la 3e avenue, parce que c'est simplement le lien le plus direct...
  • et même de céder quatre pieds de nos terrains pour permettre d’élargir la rue et garder les cases de stationnement. Attendez une minute ici. Vous avez convaincu tout le monde de la 12e à la 18e rue de céder 4 pieds de leurs terrains? J'en doute fort. J'en doute d'autant plus que certains bâtiments comme celui qui suit sont carrément à moins de 4 pieds de la rue. Leurs propriétaires pousseraient l'altruisme à accepter qu'on démolisse leur immeuble?  Que voulez-vous que la ville fasse de votre proposition de céder 4 pieds sur le dixième du trajet (et encore, de façon parcellaire)? Considérez-vous sérieusement cette proposition comme raisonnable?
3eavenue_garage.png
Il va être content, le propriétaire de ce garage...

Bref, à un certain point, il va au moins falloir reconnaître quelque chose : des solutions alternatives qui permettent d'avancer en termes de mobilité durable, il n'y en a pas. Bien sûr, on peut conserver le statut quo. Mais il n'y a clairement pas de quoi se présenter en apôtre du compromis dans ce cas...

De l'art de se tirer dans le pied

En bref, les commerçants ont réussi à créer la situation suivante :

  • Les automobilistes fréquenteront effectivement moins leur commerce, et ce que la ville aille de l'avant ou non avec son projet. Maintenant, dans la tête de bien des gens, il est impossible d'accéder à Limoilou en voiture.
  • Certains cyclistes et résidents voient leur position comme un outrage et en appellent au boycott (ridicule à mon avis, mais c'est une autre histoire). Résultat : encore moins de clients (locaux cette fois-ci).

En gros, se mettre les deux camps à dos. Je veux bien croire que la ville aurait pu être plus à l'écoute. Je suis bien d'accord sur le fait qu'il faut arriver à mieux se parler et à débattre plus constructivement dans ce genre de dossiers. Je ne nie pas le fait que l'attitude de certains du "camp cycliste" est tout aussi inacceptable : menaces et autres attaques ad hominem n'ont clairement pas leur place et doivent être condamnées, de même que des appels au boycott à chaque fois que quelqu'un ose exprimer une opinion contraire ne risquent pas d'encourager un débat posé et libéré. Mais une chose est sûre : en amplifiant le problème (par exemple en ne mentionnant systématiquement pas le fait que la plupart des commerces sont du côté de la rue qui ne verra pas ses stationnements retirés), en lançant des pétitions avant même que le projet ne soit officiellement défini, en envoyant des mises en demeure prédisant une catastrophe économique et en refusant objectivement tout dialogue constructif (revoyez les "alternatives" proposées plus haut, ce n'est pas ce que j'appelle être constructif), vous êtes l'artisan de votre propre malheur.

Un jour, peut-être qu'il faudrait apprendre à se parler sans assumer que la personne en face de vous veut forcément votre malheur...

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